Deuxième pilier de l’édifice démocratique issu de la Conférence Nationale, l’Assemblée nationale vote les lois et contrôle l’action du gouvernement. C’est la substance de l’article 79 de la Constitution du 11 décembre 1990 qui dispose que «Le Parlement est constitué par une assemblée unique dite Assemblée nationale, dont les membres portent le titre de député. Il exerce le pouvoir législatif et contrôle l'action du Gouvernement.»
En tant que pouvoir législatif, l’Assemblée nationale, selon les dispositions de l’article 96 de la Constitution, «vote la loi et consent l'impôt.»
A ce titre, les membres de l'Assemblée nationale ont concurremment au président de la République l’initiative des lois. Ils votent, avant le début de chaque année, la loi des finances et ont le droit d’amendement conformément aux dispositions de l’article 107 de la Constitution. Ils ont le pouvoir de contrôler l’action du gouvernement.
Ce contrôle peut être a posteriori ou concomitant.
A cet effet, a posteriori, les députés règlent les comptes de la Nation selon les modalités prévues par la loi organique des finances.
Concomitamment à l’action du gouvernement, l'Assemblée nationale, dans les conditions déterminées par son Règlement intérieur peut :
-interpeller le gouvernement, conformément à l'article 71 de la Constitution;
-lui adresser une question écrite;
-lui poser une question orale avec ou sans débat, non suivie de vote;
-mettre sur pied une commission parlementaire d'enquête.
Par ailleurs, les députés peuvent, par un vote à la majorité des trois quarts (3/4), décider de soumettre toute question au référendum.
Ils peuvent, en application des dispositions de l’article 154 de la Constitution, prendre l'initiative de la révision Constitutionnelle concurremment au président de la République.
Pour être pris en considération, la proposition de révision, doit être votée à la majorité des trois quarts (3/4) des membres composant l'Assemblée nationale.
L’article 155 de la Constitution précise que «la révision n'est acquise qu'après avoir été approuvée par référendum, sauf si le projet ou la proposition en cause a été approuvé à la majorité des quatre cinquièmes des membres composant l'Assemblée nationale.».
L’Assemblée examine, préalablement à la signature du décret de ratification, certains accords internationaux. C’est ce qui résulte des dispositions de l’article 145 de la Constitution qui prévoient que «Les traités de paix, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui modifient les lois internes de l'Etat, ceux qui comportent une cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés qu'en vertu d'une loi.»
Pour mieux exercer leurs fonctions, les députés bénéficient de l’immunité parlementaire. En effet, aux termes de l’article 90 de la Constitution, «Les membres de l'Assemblée nationale jouissent de l'immunité parlementaire.
En conséquence, aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions.
Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de l'Assemblée nationale, sauf les cas de flagrant délit.
Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu'avec l'autorisation du Bureau de l'Assemblée nationale, sauf les cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive.
La détention ou la poursuite d'un député est suspendue si l'Assemblée nationale le requiert par un vote à la majorité des deux tiers.»
L’Assemblée nationale intervient dans la composition de certaines institutions de la République. En effet, pour la mise en place de la Cour constitutionnelle, «le Bureau de l’Assemblée désigne quatre (04) des sept (07) membres de la Cour constitutionnelle.» (Article 116 de la Constitution).
Par l’organe de certains de ses membres ou par elle-même, l’Assemblée nationale exerce des fonctions juridictionnelles. A cet effet, l’article 135 de la Constitution prévoit que «La Haute Cour de Justice est composée des membres de la Cour constitutionnelle, à l'exception de son président, de six députés élus par l'Assemblée nationale».
Les membres de l’Assemblée nationale jouent le rôle de ministère public et de Chambre d’Accusation.
En tant que procureur de la République, ils décident de la poursuite du président de la République et des membres du Gouvernement à la majorité des deux-tiers (2/3) des députés composant l'Assemblée nationale, selon la procédure prévue par le Règlement intérieur de l'Assemblée nationale.
En qualité de Chambre d’Accusation, ils votent dans les mêmes conditions la mise en accusation de ceux-ci.
Ainsi se présente approximativement le statut du député béninois sous l’égide de la Constitution du 11 décembre 1990.
Que prévoit le projet de révision constitutionnelle ?
Avant toute analyse, il convient de rappeler à toutes fins utiles que dans son projet de société, le candidat Patrice TALON n’a proposé aucune réforme au niveau de l’Assemblée nationale.
C’est en exécution de ses termes de références qui prévoient que la commission des réformes politiques et institutionnelles a pour mandat «d’étudier et de proposer au président de la République, les réformes politiques et institutionnelles visant à améliorer le modèle politique béninois» que celle-ci a estimé que «l’immunité parlementaire prévue à l’article 90 de la Constitution du 11 décembre 1990 oppose deux valeurs : la protection du député et le droit du citoyen à la justice. L’analyse dudit article au regard de la pratique politique révèle la protection du député aux dépens du droit du citoyen à une justice équitable. Pour remédier à cette situation, il a été suggéré d’affirmer le principe de l’immunité parlementaire mais également de reconnaître le droit du citoyen à une justice équitable.
Concrètement, la Commission propose que l’immunité parlementaire soit allégée et que l’effet suspensif de la prescription de l’action publique soit affirmé. Elle recommande la suppression du dernier alinéa de l’article 90 qui prévoit que «la détention ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée nationale le requiert par un vote à la majorité des tiers.»
La Commission suggère par ailleurs que les poursuites puissent être engagées sans demande de levée de l’immunité parlementaire lorsque l’Assemblée nationale n’est pas en session.»
Le projet soumis à l’Assemblée maintient le préalable de l’autorisation de l’Assemblée nationale avant toute poursuite pénale contre un député, même hors session, sauf cas de flagrant délit. En revanche, il prévoit que l’immunité parlementaire ne couvre pas les faits antérieurs à l’élection du député. Celui-ci ne peut faire l’objet de garde à vue ou de détention provisoire, en cas de poursuite sur les faits antérieurement perpétrés, dans ou à l’occasion de l’exercice de son mandat.
Le statut pénal du député, loin d’être renforcé, s’est au contraire affaibli. Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, l’Assemblée ne peut plus, au mépris du principe de la séparation des pouvoirs, suspendre par un vote des deux tiers (2/3) les procédures pénales engagées contre un député. Elles peuvent donc aller à leur terme, et le député une fois condamné exécutera sa condamnation, y compris celle privative de liberté.
Les faits antérieurs ne sont certes pas couverts par l’immunité parlementaire, mais le député bénéficie d’une immunité contre la garde à vue et la détention provisoire.
En contrepartie et contre toute attente, le député perd le droit d’autoriser la ratification des accords de prêts. Lesdits accords seront désormais signés d’autorité par le président de la République à charge pour lui d’en informer l’Assemblée nationale. Or un accord de prêt qui n’a pas obtenu l’onction du parlement avant d’être ratifié engage moins l’Etat que le gouvernement qu’il l’a conclu. Il est précaire et est donc susceptible de remise en cause permanente.
Les députés n’ont plus la qualité de membres de la Haute Cour de Justice.
Au niveau de la Cour constitutionnelle, l’influence du l’Assemblée est désormais limitée.
En effet, le Bureau de l’Assemblée nationale pourra désigner une personnalité et l’Assemblée elle-même élira un ancien président ou un ancien vice-président pour siéger au sein de cette institution; soit au total deux (02) personnes au lieu de quatre (04) sous l’empire de la Constitution en vigueur.
En ce qui concerne les lois organiques touchant l’administration, les amendements et les propositions des députés ne peuvent pas être soumis au vote sans l’avis conforme du président de la République (Article 54 de la nouvelle Constitution). Une telle approche viole le principe de la séparation des pouvoirs.
Au total, l’Assemblée nationale a perdu certaines de ces prérogatives. Le statut pénal du député a été assoupli alors que celui des ministres et du président de la République a été renforcé. Désormais les ministres seront quasiment irresponsables pénalement alors que le député, malgré sa légitimité, héritera d’un régime pénal allégé. Mais aussi curieux et surprenant que cela puisse paraître, cette dynamique d’affaiblissement des pouvoirs ne s’est pas étendue à l’exécutif. Alors que le candidat Patrice TALON s’est engagé à opérer un rééquilibrage des pouvoirs des institutions de la République, il se dégage du projet de révision constitutionnelle que seul le pouvoir exécutif a été habilement renforcé au moment où les autres institutions ont enregistré un affaissement de leurs prérogatives.
Sous le couvert du mandat unique et de l’élection des présidents de la Cour suprême et de la Haute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication, le président de la République tente de radicaliser son pouvoir au détriment des institutions de contre-pouvoirs. Un tel déséquilibre notoire et criard est incompatible avant la démocratie car le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument.
Michel ADJAKA