Dans le cadre de la recherche d’un large consensus autour du projet de loi de révision de la Constitution béninoise, une délégation du Front pour le Sursaut Patriotique (FSP) a entrepris une démarche visant à consulter certaines personnalités du Bénin. Eugène Azatassou, Coordonnateur national des FCBE, le Parti Communiste du Bénin et Léonce Houngbadji du Parti pour la Libération du Peuple (PLP) accompagné de Amos Elègbè ont échangé longuement avec le professeur Albert Tévoèdjrè, ancien médiateur de la République, personnalité ayant pris part activement aux assises de la Conférence des forces vives de la Nation de 1990.
Au terme des échanges, le coordonnateur national des FCBE a laissé entendre que sa démarche s’inscrit dans la logique de rechercher un large consensus autour de l’initiative du Président Patrice Talon de réviser la loi fondamentale du Bénin. « (…) La première chose, c’est de faire en sorte que le débat se mène au sein de la population. Les députés ont la possibilité de ne pas adopter cette constitution en procédure d’urgence et en session extraordinaire. Ils ont la possibilité de ramener le débat à la base parce que dans tous les coins du projet, il y a des pièges. Il faut prendre le temps de discuter pour voir quelles sont les choses à élaguer avant de prendre cette constitution. Nous ne disons pas qu’il ne faut pas réviser la Constitution mais nous demandons que le débat soit large et qu’il y ait un consensus autour du projet qui va être adopté par référendum » a laissé entendre Eugène Azatassou qui s’est également prononcé sur les lois « liberticides » ayant été examinées et adoptées ces derniers jours à l’Assemblée nationale. Pour sa part, le représentant du PCB, Gilbert KOUESSI, chargé des relations internationales a invité le peuple à se prendre lui-même par des actions à la base. « C’est pourquoi ce soir, nous avons prévu que les gens viennent dormir devant l’Assemblée nationale pour un sit-in demain parce qu’avec ce qui est mis dans cette constitution, ce n’est pas normal que le peuple ne puisse être partie prenante dans le débat autour de cette révision parce qu’il y a des gros pièges pour le peuple. C’est pourquoi nous pensons qu’une constitution adoptée dans ces conditions est très grave pour notre pays » a relevé le chargé des affaires extérieures du PCB. Le parti exige le retrait pur et simple du projet de l’Assemblée nationale pour aller consulter le peuple afin de se rendre compte de l’opportunité ou non de la révision de la Constitution à travers des assises nationales. En sa qualité de rapporteur général du comité préparatoire de la Conférence nationale de 1990, Amos Elègbè a insisté sur la recherche de consensus qui à l’en croire, n’est pas un euphémisme. « (…) 27 ans après lorsque nous décidons de réviser, il faudrait qu’on y aille mais ce qui est grave, c’est que le projet qu’on nous prévoit a dit des choses tellement graves du point de vue institutionnelle. On peut pas supprimer le conseil économique et social par un vote des députés sans qu’on n’évalue comment les autres institutions de contre-pouvoir ont travaillé. Ce qui est déterminant dans le projet déposé par le président Talon, c’est qu’il concentre le pouvoir entre ses mains alors qu’il a dit lui-même qu’il vient pour alléger le pouvoir du président de la république… » a-t-il fustigé. L’ancien médiateur de la république est foncièrement contre la révision de la loi fondamentale du Bénin dans les conditions actuelles et compter sur l’intelligence des parlementaires pour faire échec au projet du président Talon. « Je fais confiance à l’intelligence de chaque député et à l’intelligence du Président de l’Assemblée nationale. Ce sont des hommes et des femmes qui aiment ce pays. Je suis sûr qu’aucun dirigeant politique crédible de ce pays, n’adoptera en l’état ce projet de Constitution qui est proposé. Je le dis avec sincérité, par conséquent, soyons sereins, ça ne passera pas ainsi. Ici, c’est le Bénin » a martelé le professeur Tévoèdjrè. Il faut noter que la délégation sera reçue en audience ce vendredi par le président de la Cour suprême à Cotonou.
Ils ont dit
Eugène Azatassou : « Nous n’allons pas accepter que les choses se passent comme ça »
« Nous sommes un certain nombre de délégations. Nous sommes ensemble pour une série d’actions afin qu’ils tiennent compte de la situation actuelle dans laquelle nous vivons dans notre pays aujourd’hui. Vous avez le PCB, le PNP, l’alliance FCBE. Et pour cela, nous avons décidé d’aller voir un certain nombre de personnalités pour attirer leur attention pour qu’ils nous aident à sensibiliser les députés, nos populations, le pouvoir pour que le Bénin continue de se développer dans la paix et la quiétude. On ne peut pas accepter des délires surtout lorsqu’ils sont enfermés dans la constitution. Dans la constitution, nous avons les lois ordinaires qui peuvent être facilement révisées même à 50%. Mais la constitution, on ne la révise qu’avec une majorité et depuis 50 ans, il y a eu des tentatives pour la réviser sans qu’on en arrive. Réviser la constitution aujourd’hui, c’est conduire le pays au chaos et on ne peut pas tolérer ça. La première chose, c’est de faire en sorte que le débat autour de la révision de la constitution se mène au sein de la population. Les députés ont la possibilité de ne pas adopter cette constitution en procédure unique et en session extraordinaire. Ils ont le devoir de ramener le débat à la base. Ce n’est pas un débat qui se mènera au sommet parce qu’il y a des pièges dans tous les coins. Il faut prendre le temps de discuter à la base, voir les choses qu’il faut élaguer avant d’adopter la révision. Nous ne disons pas qu’il ne faut pas réviser la constitution mais que le débat soit large et qu’il y ait un consensus autour du projet qui va être adopté et le référendum alors.
Ce projet comporte des aspects forcement liberticides du point de vue démocratique. Nous pensons que l‘ensemble du pays doit se mobiliser. J’ai parlé des lois, je parle de la constitution qui a été envoyée à l’assemblée nationale. C’est évident que si la loi est adoptée en état, ça incorpore les normes anti démocratiques et dérègle l’ensemble de l’édifice. Nous n’allons pas accepter à l’étape actuelle que les choses se passent comme ça. »
Gilbert KOUESSI, chargé des relations internationales (Pcb):« Si jamais le projet passe en l’état, notre peuple ne l’acceptera pas. »
« Au Front du sursaut patriotique, nous avons décidé de faire le tour des personnalités de ce pays. Ce soir, nous sommes venus voir le professeur Albert Tévoédjrè. En dehors de la visite faite à cette personnalité, nous pensons que le peuple, lui-même, doit se prendre en charge par des actions à la base. C’est pourquoi ce soir, il est prévu que les gens viennent dormir à l’Assemblée nationale que demain, qu’on fasse un sit-in. Avec ce qui est mis dans cette constitution, il n’est pas normal que le peuple ne puisse pas être partie prenante dans le débat de cette constitution. C’est pourquoi nous pensons qu’une constitution adoptée dans ces conditions est très grave pour le pays. Ce que nous proposons, c’est le retrait pur et simple de ce projet de l’assemblée nationale. Il faut que le peuple soit consulté et si la révision de la constitution est utile, il faut des assises nationales. La situation est assez grave, le peuple a faim, il n’y a pas de travail et le président lui-même l’a reconnu le 4 mars dernier. Nous considérons que ce projet de constitution est une grosse diversion et si jamais le projet passe en l’état, notre peuple ne l’acceptera pas. Il faut que le président Talon le sache. Notre peuple n’acceptera pas d’être pris en otage par cette révision de la constitution. »
Amos Elègbè : « Si nous adoptons cette constitution, nous validons le despotisme »
« J’ai été Rapporteur Général du comité préparatoire de la conférence nationale présidée par Me Dossou Robert. C’est moi qui ai remis les documents du comité préparatoire à papa Tévoédjrè qui a été élu rapporteur général de la conférence. Vous comprenez pourquoi, il fallait que je dise un mot. Quand nous parlons de consensus, les gens pensent que c’est un euphémisme. Le consensus dont il s’agit à la conférence nationale est la résultante de beaucoup de souffrances, de blessures et de meurtrissures. Lorsque le président Kérékou est venu se mettre à genoux devant Monseigneur de Souza pour demander pardon à ce peuple, on a compris en ce moment que tout le monde était prêt à faire le mea culpa et beaucoup ont pardonné pour qu’on en arrive là. La constitution que vous voyez est la quintessence du génie créateur de notre peuple. C’est un édifice qui est un compromis et quand vous voyez bien, nous avons une constitution qui a résisté au temps. Depuis 1960, le Bénin n’a jamais connu une constitution qui a duré 3 ans sauf au temps du PRPB où la loi fondamentale a duré de 1977 à 1990. C’est une première dans un régime de la démocratie. Aujourd’hui, lorsque vous voulez le toucher, il faut revenir obligatoirement au consensus. Le consensus, c’est se réunir en dialogue politique. Nous ne souhaitons plus que les conditions qui nous ont conduits à la conférence nationale se répètent et c’est pour ça que nous ne parlons plus de conférence nationale. Les français ont organisé les états généraux depuis 1889 et ne l’ont plus répété malgré les crises successives jusqu’en 1958. Nous avons dit que la conférence nationale a décidé de mettre en place le Haut Conseil de la République qui a mis en place une assemblée constituante, c’est-à-dire des constitutionnalistes pour aller réfléchir et nous proposer un avant-projet de constitution. C’est comme ça que ça s’est passé. C’est quand ils ont terminé et que l’HCR a validé le projet qu’on est allé au référendum. Lorsque 27 ans après on se décide de le faire, il faut bien qu’on y aille. Ce qui est grave est que le projet a dit des choses tellement graves du point de vue constitutionnel. Nous ne pouvons pas supprimer le Conseil économique et social par vote des députés sans qu’on évalue les autres institutions de contre-pouvoir. Nous n’avons pas mis au hasard le Conseil économique et social. C’est parce que dans la salle, il fallait trouver une formule qu’on appelle le contre-pouvoir représentatif des couches sociales à la base. Il en est de même de cour constitutionnelle qui est un organe de régulation entre l’Exécutif et les autres institutions. Il faut donc faire attention lorsqu’on voudra toucher à ces choses. Je dirai pour finir que ce qui caractérise le projet de constitution proposé par le président Talon c’est qu’il concentre les pouvoirs dans ses mains alors qu’il a dit qu’il vient pour réduire le pouvoir du président de la république. Selon Talon, Yayi Boni avait trop de pouvoir, Kérékou en a eu trop, ainsi que Soglo. Nous, on s’attendait à ce qu’on nous propose des choses pour alléger les prérogatives du chef de l’Etat afin que ce soit facile. Malheureusement, il concentre tous les pouvoirs dans ses mains. Il devient un agent de renseignement. C’est lui qui va autoriser qu’on aille faire des enquêtes sur un compatriote, il va ratifier les traités et les conventions de financement. J’ai été député. S’il le fait ainsi, alors il ampute l’une des prérogatives essentielles du parlement. C’est grave. Je ne prends que ces petites choses sans compter le statut des magistrats qu’il modifie et l’impunité qu’il instaure pour le chef de l’Etat et les ministres. En un mot, on est plus en démocratie. Si nous adoptons cette constitution en l’état, nous créons un régime de despotisme dans notre pays. Ça ne passera pas au Bénin ».
Albert Tévoédjrè : « Ici c’est le Bénin et ça ne passera pas »
« Je suis médiateur émérite donc je ne suis plus un médiateur en fonction. Je ne suis rien d’autre qu’une mémoire perdue quelque part dans un village de la nation. J’ai sollicité la possibilité de me consacrer à un parcours spirituel mais essentiellement social qui m’oblige à servir mes frères et mes sœurs de la manière dont j’ai été formé par la vie pour espérer que demain, en tant que fils de Dieu, auprès de mes frères et sœurs, je me mette à la disposition de mon pays chaque fois qu’il a besoin de mes services. Nous aurons la possibilité de dire ce que nous pourrons. Je fais confiance à l’intelligence de chaque député, à l’intelligence du président de l’Assemblée nationale qui sont des hommes et femmes qui aiment ce pays. Je suis sûr qu’aucun dirigeant politique ne dit de ce pays qu’il n’adoptera et n’approuvera le projet de constitution qui est proposé. Je le dis avec sincérité et j’ai dit à mes amis que ça ne passera pas ainsi. C’est tout ce que je sais. Je vous dis l’expérience que j’ai eue dans ce pays, la conscience que j’ai pour les situations, les femmes qui crient au marché, ici c’est le Bénin et ça ne passera pas ».
Germin DJIMIDO