La députée Rosine Vieyra Soglo, présidente du groupe parlementaire ‘’Nation, Unité et Développement’’, émet des réserves sur le contenu du projet de révision de la Constitution du 11 décembre 1990 transmis à l’Assemblée nationale par le président Patrice Talon. Elle l’a fait savoir dans une réflexion transmise à la Commission des lois, de l’administration et des droits de l’homme à laquelle le projet a été affecté pour étude par le président de l’Assemblée nationale, Me Adrien Houngbédji. Dans cette réflexion, la députée Rosine Vieyra Soglo, parle de la philosophie du projet, de son contenu, des conséquences que son adoption en l’état pourrait engendrer et de ses limites. En somme, la députée Rosine Vieyra Soglo conclut que le projet de révision de la Constitution du 11 décembre 1990 « manque de modestie et prétend guérir un pays qui n’est pas malade de sa Constitution » et qui, au contraire, est « un modèle envié pour sa stabilité, ses alternances, la maturité de son peuple et la vitalité de ses institutions malgré quelques dysfonctionnements ».
(Lire ci-dessous l’intégralité de la réflexion de Rosine Vieyra Soglo sur le projet de révision de la Constitution du 11 décembre 1990)
NOTE DE ROSINE VIEYRA SOGLO SUR LE PROJET DE REVISION CONSTITUTIONNELLE
Cette note donne quelques éclairages sur la philosophie du projet du gouvernement, le contenu et les conséquences si ce projet aboutissait.
I-LA PHILOSOPHIE DU PROJET
L’idée de réviser la Constitution de 1990 est désormais acquise par tous. Cependant, la différence des deux projets tirés des travaux des commissions Ahahanzo-Glèlè et Joseph Gnonlonfoun, le présent projet est commandé par un diagnostic erroné et une fausse idée de l’indépendance en démocratie. Le projet actuel ne révise pas la Constitution de 1990. Il la réécrit de fond en comble et substitue à la Constitution de 1990, par un détournement de procédure, une autre Constitution.
II-LE CONTENU DU PROJET
Le projet adopté en Conseil des Ministres et soumis au Parlement est le projet le plus risqué jamais conçu au Bénin, voire dans l’histoire des Nations démocratiques. Son contenu est saisissant et inédit. Ce projet de loi constitutionnelle :
-reformule 43 articles de la Constitution ;
- affecte presque toutes les institutions de la République ;
- fait traverser la révision par toutes les institutions de la République (leur monde d’organisation, leurs attributions, leurs règles de fonctionnement) ;
- définit de nouveaux mandats pour le Parlement et le Chef de l’Etat et attribue presque généreusement au Parlement et Conseils municipaux et communaux une durée supplémentaire ;
- supprime le Conseil économique et social (Seul espace institutionnel de représentation, de proposition et d’action des forces sociales et économiques)
- souscrit désormais le Chef de l’Etat de la justice, y compris à la fin de ses fonctions, quel que soit le délit ou le crime commis ;
- confisque la signature du peuple en retirant au Parlement un droit fondamental, celui de ratifier les accords internationaux ;
- intègre dans la Constitution, chose inédite, un organe de renseignement ;
- …Etc.
III-LES CONSEQUENCES
Le projet présente des risques pour le pays, pour sa démocratie, les libertés individuelles et collectives et surtout pour la stabilité dont le Bénin jouit depuis 27.
Si le projet du gouvernement, est adopté en état,
- Il va inaugurer une autre Constitution ;
- Il va introduire dans une loi fondamentale, comme jamais on ne l’a vu dans un pays démocratique, des visées personnelles, des verrous de protection de quelques uns, la confiscation des droits du Parlement et de certaines libertés ;
- Il va remettre en cause les bases de la stabilité politique du Bénin ;
- Il pourrait ouvrir un nouveau cycle d’instabilité auquel notre pays a pourtant tourné le dos depuis 1990 ;
- Il va induire un vrai remue-ménage juridique, ouvrir un vaste chantier car, l’on va devoir amender le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, réécrire les lois organiques de toutes institutions, réécrire leur règlement intérieur. Suivra ensuite le temps (Il peut être long) de la mise en place de ses institutions
IV-LES LIMITES DU PROJET
Les limites à la révision proposée par le gouvernement sont de deux ordres. Ce sont les limites démocratiques et les limites jurisprudentielles
1ère QUESTION : Le Parlement peut-il, seul, prendre la responsabilité de réécrire une Constitution ? A t-il la légitimité suffisante pour se substituer au peuple et valider une modification substantielle de pacte social que notre peuple a oint lors du référendum du 2 décembre 1990 ?
LA REPONSE : Même si les articles 154 et 155 habilement le Parlement à réviser la Constitution, ce pouvoir ne peut pas consister en une réécriture, un changement de Constitution dans le dos du peuple.
2ème QUESTION : Le Parlement peut-il redéfinir la durée de son mandat sans s’en référer à son mandat, le peuple béninois, qui a fixé le terme à quatre (4) ans ?
LA REPONSE : Au plan démocratique, le Parlement ne peut réaménager son propre mandat sans l’onction du peuple souverain
3ème QUESTION : Est-il possible de conduite cette révision à son terme sans courir le risque d’une censure de la Cour constitutionnelle ?
LA REPONSE : Au moins deux (2) décisions de la Haute juridiction encadrent le pouvoir de révision. Ces décisions imposent le Consensus et excluent de toute révision des matières que le texte du gouvernement reformule pourtant
Ce sont :
1-Décision « Consensus national ». DCC 06-074 du 8 juillet 2006
2-Décision « Options fondamentales de la Conférence nationale ». DCC 11-067 du 20 Oct 2011
V-QUELQUES CONCLUSIONS
Au terme de cette analyse, trois conclusions peuvent tirées :
- D’abord, il apparaît que ce projet dans sa nature est liberticide, personnalisée, taillée sur mesure et donc risqué,
- Ensuite, ce projet manque de modestie et prétend guérir un pays qui n’est pas malade de sa constitution, au contraire qui est un modèle envié pour sa stabilité, ses alternances, la maturité de son peuple et la vitalité de ses institutions malgré quelques dysfonctionnements
- Enfin, tout projet de révision de la Constitution de 1990 qui porte atteinte s’attaque aux mécanismes essentiels de la Constitution, à ses articulations et aux piliers sur lesquels l’édifice est assis, dépasse la seule appréciation, mais doit être soumis au peuple souverain, par voie de référendum.
Députée Rosine Vieyra Soglo
Cotonou, le 27 mars 2017