Le marché international de Bohicon est un héritage historique résultant d’un défi que deux frères se sont lancés pour jauger leurs pouvoirs mystiques. L’accès à ce marché interdit aux cabris n’est pas une décision formelle provenant d’une consultation spirituelle ou religieuse, mais plutôt d’une volonté manifeste de son initiateur Zanvoh pour prouver sa bravoure devant son frère Dako-Donou, alors roi de Danxomè (1620-1645).
Bohicon, le marché dont le nom a été attribué plus tard à la ville par le Colon, est une déformation de Gbohicon. Malgré cette dénomination qui signifie littéralement vers le marché de cabri ou de mouton, on n’y vend pas ce mammifère. Si la vente de la chair de ce ruminant est autorisée aux bouchers à l’intérieur du marché, il n’en est pas de même pour l’animal vivant. Une interdiction formelle de Zanvoh, frère du roi Dako-Donou, le deuxième du royaume de Danxomè. Bohicon, Gbohicon ! (Vers le marché de cabris) ou encore Gbohigon ! Une confusion persiste aussi bien autour de l’appellation qu’au niveau de la graphie du nom de ce marché. Par conséquent, son historique ne fait pas l’unanimité. En effet, pour ce qui est de son origine, certains pensent que l’interdiction proviendrait du nom même du marché désigné, selon eux, sous le mot Gbohigon. Ce concept Gbohigon serait le nom authentique du marché et signifierait « le marché de cabri ne vient pas (ou ne viendra pas) » ou encore « Si c’est pour le marché de cabri, n’y viens pas » (Gbôwèadjro na sa hun gon). Dah Nonditchao Kpengla, documentaliste et ancien agent de musée à la retraite, est l’un des défenseurs de cette thèse. Le nom Bohicon actuellement en vogue, n’est que la double déformation par francisation du mot fon Gbohigon. D’autres, par contre, soutiennent que cette façon d’expliquer le nom du marché relève de la désinformation. A en croire Désiré Dassiga, ancien Chef de l’arrondissement II de Bohicon, le marché tient son nom du fait qu’on y vendait des cabris et moutons. Ce marché accueillait beaucoup de commerçants nagots et les affaires florissaient à telle enseigne que le marché de Gbodjo sis à Ouassaho n’arrivait plus à s’animer. Alors, le roi qui régnait pendant ce temps a décidé de transférer à Gbohicon le marché Gbodjo où le cabri ne se vendait pas. Ce faisant, la divinité ‘’Aïzan’’ installée dans le marché, interdit aussi ce type de commerce. Ainsi, note-t-il, bien que le nom Gbohicon (vers le marché de cabris) soit conservé, il y a l’interdiction de vendre le mouton à cause du fétiche Aïzan. Dah Hwendomabou Yèmènou Gbèda Adjahouisso est en partie d’avis avec les propos de l’ex-Ca de Bohicon II, à quelques nuances près. D’après ses explications, l’interdiction ne découle pas du nom dudit marché et Gbohigon lui paraît une invention. Il rétablit alors la vérité. A l’en croire, le marché fut créé par le roi Dako Donou et s’appelle Gbohicon et non Gbohigon comme certains le font croire. « Gbohigon ne donne pas le vrai sens du nom du marché », martèle le 9ème occupant du trône d’Ahossou Yèmènou de Bohicon. Comme des cabris faisaient partie du butin ramené du marché Gbodjo créé en l’honneur de sa mère, ils sont vendus dans le nouveau marché. Ainsi, le roi Dako-Donou lui attribua le nom Gbohicon qui signifie « le marché de cabris ou vers le marché de cabri ». Le nom sort de l’acte qui a été posé par le roi. Le nom n’a pas été donné pour signifier l’interdiction. Et cet acte, c’est bel et bien la vente des cabris comme butin de guerre. On devra donc s’attendre à ce que le commerce de cabri ou de mouton s’y développe. Mais cela n’a pas été le cas puisque, juste après la vente de cabri, le roi a formellent interdit ce type de commerce», précise Dah Adjahouisso.
Restitution de la version authentique
Sa Majesté Dah Houncassoudonon Ahinadjè, Chef spirituel d’Agomè et d’Ahouandjotomè, balaie du revers de la main ces arguments développés par les uns et les autres pour expliquer l’historique du marché de Bohicon. «L’histoire est souvent mal narrée par des notables mal informés», fait-il remarquer. Maîtrisant l’origine de ses aïeuls, il restaure sans aucun document, l’histoire de ce marché que beaucoup racontent sans précision. En effet, relate sa Majesté Agomènon Ahinadjè, le nom Bohicon a été prononcé pour la toute première fois au 17ème siècle par Zanvoh. Un jour, une crise de mésentente s’est emparée des deux frères. Le prince Zanvoh et le roi Dako-Donou de Houawè Zounzonsa. Des jours plus tard, la situation s’est envenimée jusqu’à ce que Zanvoh quitte le domicile familial pour aller s’installer à Kpassa dans Agonvèzoun. Nous sommes dans la commune de Bohicon. Ainsi, dans le but de rendre viable la zone, il y a installé un petit coin de vente pour empêcher ses femmes de se rendre dans le marché de ‘’Gbodjo’’ instauré par Dako-Donou, son frère ennemi. On en était là quand il eut l’idée de construire trois hangars sur le site de l’actuel jardin public de la ville dans l’intension de créer un marché digne du nom. L’installation de la divinité Aïzan, de Ahissin et les rituels afférents à un tel projet ont été faits. Ayant appris alors la nouvelle de la création d’un nouveau marché sur son territoire sans son implication, Dako-Donou invita son frère Zanvoh, l’initiateur du nouveau marché au palais pour le sermonner. Au cours des escalades verbales entre les deux braves, Dako-Donou, très remonté contre l’attitude de son frère, lui a dit que son marché ne sera jamais animé par des hommes, mais plutôt par des cabris et moutons. Et pour lui répliquer, Zanvoh, s’est adressé au roi Dako en lui disant que son marché sera bel et bien animé par des hommes et des femmes sans les cabris et moutons. D’où le nom Bohicon a été donné à ce marché pour signifier que le marché de cabris ne vient pas ou ne viendra pas. Cette interdiction, précise sa Majesté Houndadjo Ahinadjè, ne provient pas d’une divinité ou de l’oracle Fâ. Mais plutôt de la volonté de Zanvoh de prouver à son frère Dako-Donou qu’il est aussi capable de quelque chose. «Si tant est qu’il était formellement interdit par une divinité de vendre du cabri ou du mouton dans le marché, nous pensons que l’élevage de ce ruminant ne serait même pas autorisé dans les maisons. Or, tel n’est pas le cas. Dans les maisons, les gens élèvent le mouton et le cabri sur le même territoire de Bohicon», fait remarquer Dah Ahinadjè.
Zéphirin Toasségnitché