Le Français est la langue officielle du Bénin. Au regard des difficultés liées à cette langue et vu la proximité du Bénin avec le Nigéria, beaucoup restent désormais sceptiques quant à son utilité pour l’avenir socio-économique du pays.
La fougue qui l’anime lorsqu’il enseigne la langue française dans les établissements s’estompe au fil des années. Et pour cause, Léon Ahoudji, professeur de Français au Collège d’enseignement général Le Nokoué, ne voit pas son entourage s’épanouir comme cela se doit avec la langue. « Au plan éducatif, je suis peiné de voir le nombre de déscolarisés qu’on enregistre chaque année, à cause de cette langue. Sur 100% de ceux qui étaient de ma promotion, à peine 15 ou 20% ont pu tirer leur épingle du jeu… », s’indigne-t-il. Comme lui, nombre de citoyens béninois s’interrogent sur l’avenir socio-économique du Bénin, si le système porté avec la langue française reste en l’état. A en croire Arnold Sohou, étudiant en Master à l’Université d’Abomey-Calavi, les opportunités avec la langue française existent, mais très peu de jeunes en profitent. « A travers l’organisation internationale de la francophonie, une catégorie de jeunes bénéficient de formations et décrochent des opportunités de bourses…, et ça s’arrête là. Alors que les vrais problèmes sont ailleurs », dit-il. Pour lui, le système éducatif hérité du colon ne forme que pour l’administration et non pour l’auto-emploi. « Pendant plusieurs, nos parents ont reçu une éducation qui n’a pour but que le travail dans l’administration publique. Aujourd’hui, notre administration est saturée. Il y a des centaines de milliers de jeunes au chômage et qui attendent en vain d’être recrutés un jour dans la fonction publique. Et malgré cela, le système n’a pas changé d’un iota », déplore-t-il. Plus loin, Léon Ahoudji pense que le problème est aussi mental. D’après lui, les parents croient que l’accès à la langue française est la clé du succès dans la vie active. « Depuis 5 ans, mon vieux n’arrête pas de prier pour que je sois recruté dans la fonction publique. Je subis une pression terrible de sa part…En tant qu’agent permanent de l’Etat, il m’a exhibé sa fiche de paie afin que je sois motivé… », confie Basile, jeune entrepreneur.
Nécessité d’aller vers les langues nationales
Sentant le danger venir, les acteurs de l’éducation ont trouvé une alternative, celle d’introduire les langues nationales dans le système éducatif. Pour le Dr Gbaguidi G. Arnauld, Enseignant chercheur à l’Uac, l’introduction des langues nationales dans l’enseignement est une opportunité pour mieux former les apprenants. Les langues maternelles, selon lui, participent à l’assimilation rapide des connaissances chez l’enfant, car « quand on enseigne à un enfant dans sa langue, il comprend vite ce qu’on lui apprend. En fait, quand on enseigne dans le système éducatif formel, l’apprenant traduit d’abord la situation dans sa langue ».
A ce sujet, les six langues à savoir l’Adja, le Batonou, le Dendi, le Ditamari, le Fon et le Yoruba qui ont été retenues le 16 juillet 1992 pour être introduites dans l’enseignement sont des langues Post Alpha. Quatre autres langues telles que le Yom, le Fulfuldé, le Gengbé et le Gungbé ont été ajoutées aux six précédentes. « Ainsi, nous avons commencé l’expérimentation de ces langues lors de la rentrée scolaire 2013-2014 par la classe de Cours d’Initiation (Ci) avec trente (30) écoles primaires. La prochaine rentrée, nous serons dans 50 écoles sur toute l’étendue du territoire national », a déclaré le Dr Arnauld Gbaguidi.
Le Secrétaire général de la Confédération des syndicats des travailleurs du Bénin (Cstb) Paul Essè Iko a, quant à lui, trouvé que le colon a imposé non seulement sa langue, mais aussi sa façon de réfléchir et d’agir. Et après plusieurs décennies, le Bénin n’a pas progressé d’un iota. « Alors que nous sommes des Africains et nous avons à apporter nos contributions pour enrichir aux plans national et international notre culture », a-t-il ajouté. Quant à Julien Hountondji, la diversité des langues locales empêche le Bénin d’avoir une langue locale officielle. « Il nous sera difficile d’avoir une langue locale que vont reconnaître tous les Béninois, car nous ne sommes pas encore une Nation. Chaque région linguistique est fière de sa langue et ne veut pas faire de concession », affirme-t-il.
Selon l’Unesco, toutes les langues doivent être développées et mises sur internet, car d’ici 50 ans, la moitié des langues vont disparaître de la planète. Or, d’après Paul Essè Iko, une langue comporte des richesses culturelles, scientifiques, philosophiques, économiques et autres. D’où la nécessité de l’introduction de toutes les langues dans le système éducatif. Aussi, a-t-il poursuivi, il faut que ces langues nationales bénéficient des manuels nécessaires pour leur enseignement en dépit du nombre de langues que nous avons. « Par exemple, là ou le Fon est majoritaire, il s’inscrit dans le cursus scolaire. En plus, il faut que les langues nationales soient le support du discours scientifique depuis la maternelle jusqu’à l’université. Cela passe par la traduction des unités de valeur en langues nationales par les étudiants. Par exemple, on peut enseigner uniquement dans la langue nationale aux enfants de la maternelle au Ce1. Et, une fois au Ce2, on introduit le français et l’anglais. Si cela est fait ainsi, on n’aura pas dans notre pays, une guerre linguistique comme c’est le cas entre les Corses et les Catalans », préconise-t-il.
Un contexte économique pourtant favorable…
Selon l’Institut national des statistiques et de l’Analyse économique (Insae), 63,5% des populations béninoises dépensent moins d’un dollar par jour, avec une croissance économique de 6,5%. Pourtant, les opportunités ne manquent pas, quant à la proximité du Bénin avec le Nigéria qui est l’une des plus grandes puissances économiques du continent africain. Et pour tirer profit de cette économie en pleine éclosion, il faut, selon Léon Ahoudji, un canal de communication qu’est la langue anglaise. « Inévitablement, l’anglais doit être l’une des nos langues prioritaires, car elle est devenue une langue que partagent les grandes économies du monde en terme de transactions commerciales. Au-delà de ça, notre politique doit également pouvoir s’intéresser aux langues locales du Nigéria. Il s’agit des langues telles que le Yoruba, Haoussa qui peuvent faciliter les relations commerciales avec ce pays », dit-il. Julien Hountondji, Surveillant général au Ceg le Nokoué, trouve que le Bénin ne pourra se libérer aussi facilement du Français, ni du Cfa. « Nous sommes liés par le pacte colonial qui ne nous donne pas la liberté de faire des opérations comme nous le voulons. Même à ce jour, le Bénin n’est pas autorisé à s’approvisionner en essence au Nigéria. Selon les clauses, l’Algérie est habilitée à lui fournir ce produit…il en était de même pour les véhicules d’occasion. A l’époque, le Bénin n’était pas autorisé à importer les véhicules d’autres pays que de la France…Qu’on le veuille ou pas, nous serons liés au colon », révèle-t-il. Des propos qui posent toujours le problème des engagements coloniaux.
Patrice SOKEGBE