« Nous nous sommes concertés pour en arriver là »
De Yayi Boni à Patrice Talon, il n’a pas changé. C’est un homme de principe et cela se remarque dans ses prises de position et son franc-parler. Dans cette interview accordée à votre quotidien Matin Libre, il l’a d’ailleurs martelé. « Léon Comlan Basile Ahossi est et reste de la mouvance présidentielle…, très critique ! ». A bien le suivre, c’est sa façon d’analyser autrement les choses, qui l’a amené à voter « abstention » pour faire échec au projet de modification de la Constitution, introduit à l’Assemblée nationale par le gouvernement. Pour le député de la 17ème circonscription électorale, c’est un vote qui a été bien peaufiné, ensemble avec ses collègues qui ont opté pour le rejet, le 4 avril 2017. Lire l’interview dans laquelle cet ancien cadre de l’administration douanière, a également fait le bilan de l’An 1 du chef de l’Etat au pouvoir, puis dénoncé les maux qui minent le Parlement, 7ème législature, que préside Me Adrien Houngbédji.
Député Comlan Léon Basile Ahossi, je présume que vous avez suivi l’entretien du chef de l’Etat samedi 8 avril dernier. Que vous inspire ses propos suivants : « Je n’ai pas d’aversion pour la fonction, encore moins pour la charge. 2021, c’est encore loin. En 2021, j’aviserai…» ?
Je dois vous dire que j’ai effectivement suivi l’entretien du chef de l’Etat avec la presse. C’est vrai que lorsque les journalistes, les trois que je félicite d’ailleurs au passage pour leur perspicacité, lorsqu’ils ont abordé la question, il l’a esquivée dans un premier temps. Mais, sur insistance de M. Noutéhou, je crois qu’il a fini par répondre. J’ai été triste, triste parce que j’étais au village ; mon village est à la frontière Togo là-bas. J’étais avec des parents qui sont venus du Togo, et quand ils ont écouté qu’il aviserait en 2021, à la fin de l’émission un enseignant m’a dit : « nous on avait cru qu’il s’était engagé à ça, indépendamment de ses réformes ». J’ai dit exactement ! Et qu’il l’a reprécisé le 1er août 2016 dans son débat ‘’à cœur ouvert ‘’ avec la presse. C’est un peu dommage, ça nous révèle un peu ce qu’est la fonction présidentielle ; ça nous révèle aussi l’instabilité de l’homme. Et l’instabilité de l’homme à ce niveau, c’est décourageant et c’est inquiétant !
Mais d’aucuns soutiennent que c’est son droit de faire ses deux mandats…
Non, personne ne lui refuse. Mais je crois que l’homme c’est d’abord celui qui tient parole. Le mandat unique n’était pas lié à la réforme du mandat unique dans la Constitution. Et puis ce que j’ai surtout retenu, « si vous n’acceptez pas ce que je vous demande, je reviens sur mon propos ». Ça ne fait pas homme. Ce que j’ai aussi constaté est qu’on a l’impression que le projet de révision de la Constitution n’était pas l’entreprise d’un groupe mais d’un individu parce que tout le temps c’est « je », c’est « je », c’est « je ». Et je ne me rappelle pas si une seule fois, il a parlé de la Rupture. Il n’a parlé que du Nouveau départ qui est son concept personnel, et il a fini par dire que ça va être un nouveau, Nouveau départ. Alors, je trouve que les gens qui sont autour de lui, pour peu qu’ils ont de scrupule, ou qu’ils aient d’amour propre, devraient tirer les conséquences ; surtout qu’entre les deux tours, la raison essentielle qu’ils ont évoquée, il y en avait deux : renoncement à récupérer les sous que l’Etat lui doit. Et puis, l’affirmation du mandat unique qu’il s’engage à faire. Donc je pense qu’en hommes d’amour propre, ils devraient tirer les conséquences.
Et selon vous, quelles pourraient être les conséquences de cette phrase lâchée ?
Les conséquences c’est qu’il va voir… Si le terrain lui est favorable, il pourra se représenter en 2021. Ça, il n’y a plus aucune illusion à se faire là-dessus. Le chef de l’Etat est dans la logique de faire au moins dix ans ; peut-être qu’au lieu de réviser le nombre de mandat à la baisse, quand ça va le prendre bien, il voudra le réviser à la hausse.
Alors, puisque nous parlons de lui, puisque nous parlons de Nouveau départ, restons-y pour faire le bilan. Votre appréciation globale des douze mois passés.
Si je devais noter, je pencherais plus du côté favorable, parce que la décision de désigner les six derniers chefs-lieux de départements c’est une question que tous ses prédécesseurs ont fui ; et pour cela il faut l’en féliciter. Je dois aussi dire que depuis six à huit mois l’insécurité a diminué. Je dois avouer aussi qu’il y a certains grands travaux qui ont démarré timidement sous l’ancien régime, qu’il a ralentis et révisés mais qui ont repris. Je parle de la route des pêches. Et puis il y a un grand projet phare, le contournement Nord de la ville de Cotonou. Il y a aussi de grandes réformes au niveau de nos ordres d’enseignements. C’est vrai, cela fait grincer des dents mais il faut lui reconnaître que ce ne sont pas des questions faciles à aborder. En dehors de ça, le fait d’être concentré sur ses affaires personnelles : le commerce. Avec un petit noyau qui l’entoure, ils sont en train de mettre le pays en coupe réglée ; et ce n’est pas juste, ce n’est pas bon. L’autre chose, j’ai l’impression qu’il prend les décisions tout seul et dès qu’il les prend, il l’impose, bouscule tout le monde. On a reçu des projets de lois, et puis il y a certains députés qui sont prêts à endosser les projets pour les transformer en proposition. Le PPP est une loi qu’on ne devrait pas voter dans la précipitation. Mais tout ce que le chef de l’Etat envoie, c’est souvent en session extraordinaire. Le président de l’Assemblée qui a juré terre et ciel que tout ce que le président va demander, lui va s’y conformer, mais il le pousse dedans. Cette façon de diriger les hommes, il faut la revoir parce que les hommes ne sont ni des troupeaux, ni une entreprise.
Vous estimez que c’est tout cela qui a provoqué le départ de Candide Azannai, désormais ancien ministre délégué de la Défense ?
Je souffrais à sa place, et je crois qu’il a évité une mort subite en partant de ce milieu parce que son tempérament ne lui permet pas de durer, de prendre du temps là. Il aurait fait une crise et on l’aurait perdu. Or, c’est une tête qu’il nous faut encore pour longtemps. Donc, son départ ne m’a pas vraiment surpris. Mais ce qui a par contre retenu mon attention, c’est la privation des libertés sur les campus. Dans ma tête, cela m’a fait reculer de trente ans au moins. Ce n’était pas du tout normal qu’en 2016, qu’on entende ces genres de chose. C’est vrai que le personnage est un peu atypique ; plus les jours passent, plus on se rend compte qu’il aime le pouvoir tout à fait personnel. C’est lui qui a été élu, mais être élu président ne veut pas dire qu’on vous a fait cadeau du pays.
Le 4 avril dernier, 22 députés ont voté Non, et vous abstention pour faire échec au processus de révision de la Constitution enclenché par le gouvernement. D’abord, est-ce que vous confirmez que vous avez voté « abstention » ?
Oui, j’ai voté abstention ! J’ai voté abstention parce que nous qui n’avons pas voté le Oui, avions un message. Un message sur la façon dont le pays est dirigé, un message sur la façon dont l’Hémicycle est géré.
Pourquoi n’avez-vous pas opté pour le Non ?
Justement, les autres collègues savaient que je mettrais le jaune (abstention, Ndlr) dedans. Et le jaune, pour nous, avait un sens. Le plus important, pour nous, est que cela n’aille pas grossir les rangs du Oui. Je m’en réjouis. Nous nous sommes concertés pour en arriver là.
Mais n’est-ce pas là une « indiscipline » de groupe ?
Quel groupe ?
L’Union fait la Nation (UN) auquel vous appartenez, par exemple …
Cela ramène en surface tout le problème de la gestion des groupes parlementaires. Nos groupes parlementaires sont gérés comme des épiceries, comme des propriétés des présidents des groupes. C’est contre cela surtout, et le président de l’Assemblée nationale, on rassemble tout cela ; cette gestion scabreuse, calamiteuse, on lui en fait cadeau et lui, va voir le chef de l’Etat pour dire « je maîtrise la troupe ». C’est contre tout cela que nous nous insurgeons. J’ai un collègue de l’UN qui a voté rouge (Non, Ndlr) parce que le président de notre groupe parlementaire, la façon dont il nous traite, nous avons atteint un ras-le-bol. Donc on a profité de la situation pour envoyer deux messages. Voilà ce qui s’est passé.
Vous parlez de traitement. Est-ce parce que vous n’auriez pas été bien engraissé ?
Non, non ; ce n’est pas parce que je n’ai pas été engraissé. Les questions d’argent ont commencé à circuler quand j’étais en mission à Bruxelles. Je sais que la question a été agitée. Que les gens se mettent à crier sur madame Rosine Soglo, je trouve que c’est de la lâcheté. Je voudrais qu’on rassemble tout l’Hémicycle, qu’on amène une Bible et un Coran ; qu’on demande à tous les musulmans de poser la main sur le Coran et de dire « je n’ai pas eu de l’argent à l’Assemblée en tant que député quel que soient les circonstances», et que les catholiques le disent aussi. Moi, je ne mettrai pas la main sur la Bible. Mais les gens qui ont crié le plus, suivez mon regard, ce sont des gens qui sont connus pour ces pratiques. Et puis j’ai été G13, vous savez comment ça s’est terminé. Je crois que les questions d’argent, ça heurte notre moral qu’on les pose en public. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut passer la présidente Rosine Soglo à la guignotine. Je trouve que nous en aurons sur la conscience, d’avoir menti, d’avoir profondément menti.
Mais l’argent est venu de quel côté ?
Tel que je vous l’ai dit, j’étais en mission mais l’argent qui aurait circulé, il paraît que c’était d’abord pour aller sur le terrain pour convaincre nos populations d’accepter le projet. Vous comprenez donc d’où ça peut venir… Mais à l’UN, tout ce qu’on envisageait sur le fond, il (le chef de l’Etat, Ndlr) essayait de nous ramener sur sa vision des choses.
Donc vous lui reprochez la méthode...
Ah oui, la méthode n’était pas du tout bonne. Et puis vous avez écouté le Garde des Sceaux ? Il nous a dit et il disait sur les antennes, c’est en bloc, c’est tout ou rien. Son tout ou rien contient quoi ? Il a dit sur les antennes que si l’Assemblée nationale renvoie ça au référendum, ce serait avec le projet originel. A quoi ça va nous servir alors les modifications ? Cela veut dire que d’emblée, les modifications sont rejetées. Et si nous y allons et le peuple rejette, finalement on n’aurait pas fait la révision de la Constitution. Donc autant économiser les sous pour la République ; comme le Garde des Sceaux a dit clairement que c’est le projet initial qui va au référendum, on est un certain nombre, on s’est concerté et puis on a dit qu’il faut arrêter ça.
« Le Parlement est sous le contrôle d’opportunistes et de dévergondés… », et puis vous avez remercié, dans un récent post sur les réseaux sociaux, les députés Fcbe et ceux qui ont voté en général le Non ; spécialement Rosine Soglo. Qu’est-ce qui vous a motivé à le faire ?
J’ai toujours dit qu’au sein des Fcbe il y a des valeurs. Je crois qu’il y a une frange des Fcbe qui permet à l’Assemblée d’émettre un vote libre. Parce que si nous laissons, tel que ça se passe, on abandonne l’Assemblée aux mains du président de l’Assemblée qui, en fait ce qu’il veut, je crois que nous aurons honte un jour en faisant le bilan. Et puis, je parle de dévergondés parce que, vous savez, j’ai fait campagne pour Lionel Zinsou avec beaucoup d’autres. Mais moi, je n’ai pas insulté les autres candidats. Mais il y en a qui les ont insultés, c’est des commerçants, c’est des voleurs, ils vont faire conflits d’intérêt au sommet de l’Etat, et le lendemain, c’est eux qui commencent à dire au chef de l’Etat qu’il est le meilleur. C’est vrai qu’il y a des gens qui n’ont pas honte, mais moi j’ai honte. A l’Assemblée tous les jours, c’est qu’il y a remaniement ministériel demain, tel est au gouvernement. L’Assemblée nationale fonctionne aujourd’hui sans règlement intérieur. Ça, je le dis et si quelqu’un veut me contredire, il n’a qu’à venir. On n’a plus de règlement intérieur, on fait les choses parce que des gens veulent aller au gouvernement. Alors, moi je dis trop c’est trop. La honte, si nous n’en avons pas, pensons à nos progénitures. Il faut redorer le blason du Parlement. Et j’ai dit que c’est une révolution ce qui s’est passé le 4 avril et qu’elle doit emporter dans sa furie, tous ceux qui doivent résister.
« J’ai appris que des forces esclavagistes sont en train de préparer la cassure du groupe parlementaire de madame Rosine Soglo. Mobilisons-nous pour qu’elle ne soit pas humiliée », ça vient de vous. Est-ce à dire que si la Rb éclatait, vous irez sauver ce groupe parlementaire ?
Si la Rb éclate, ce n’est pas une personne qui peut aller sauver. Mais dans le groupe, ceux qui estiment que cette dame ne ment pas, ça je le dis, ce qu’elle a dit a tout son poids, on trouvera la formule pour ne pas l’humilier parce qu’en fait, ce qui se pratique la nuit, elle l’a révélé au grand jour, on lui en veut, on veut lui couper la tête. On ne doit pas laisser les meurtriers couper sa tête. Et ceux que j’appelle esclavagistes, c’est ceux qui veulent nous maintenir la tête basse, la tête dans l’ombre. C’est de vrais esclavagistes des temps modernes.
Certains estiment qu’avec ces derniers développements au Parlement, il faut une commission d’enquête pour écouter les députés qui auraient pris de l’argent. Qu’en dites-vous ?
C’est madame Soglo seule qui a parlé, et la procédure pour écouter un député est tellement complexe. Je souhaite que les gens n’engagent pas cette procédure parce que ceux qui sont en train de crier à l’Assemblée, excuses publiques, que le Procureur s’en saisisse, je crains qu’on jette l’eau en l’air croyant qu’on allait esquiver avant que cela ne tombe, je crains qu’ils soient mouillés.
Une sanction à l’encontre de madame Soglo ?
Je voterai contre !
Désormais Léon Basile Ahossi, une nouvelle voix de l’Opposition ?
Léon Comlan Basile Ahossi est et reste de la mouvance présidentielle.
Tout en étant critique ?
Très critique ! Si le chef de l’Etat engage des actions que je comprends, que je peux amender et j’amende, mes amendements peuvent passer ou ne pas passer. Cela n’a pas d’importance mais il faut que le débat soit ouvert, je soutiendrai. Mais si ça continue d’être un peu caporaliste tel que ça se passe, je ne me laisserai pas faire.
Mais qu’est-ce qu’il faut pour une homogénéité de la majorité parlementaire ?
Ça commence d’abord par les présidents de nos groupes. Il faut que les présidents de nos groupes parlementaires sachent qu’ils sont des chefs de famille, et ils utilisent leur poste pour régler leurs problèmes. Ils proposent des nominations de leurs parents, de leurs amis au gouvernement, au chef de l’Etat. Et, ils disent au chef de l’Etat, « nous avons la troupe en mains ». C’est terminé ! Il faut qu’on discute, qu’on sache ce qui se passe, comment ça se passe et qu’on donne nos opinions. Vous imaginez que pour voter la loi des finances qui ne dure que 12 mois, on met 1 mois et demi à écouter les partenaires sociaux, à écouter toutes les couches. Et puis, on veut voter, modifier une loi fondamentale, et on veut la voter en session extraordinaire et en procédure d’urgence. C’est parce que le chef de l’Etat sait que l’Assemblée est dressée comme cela. Heureusement que cette fois-ci certains députés ont trouvé que trop c’est trop !
Léon Basile Ahossi, merci !
Propos recueillis par Jacques BOCO