L’an 1 de la Rupture est médiocre selon le président du Patronat béninois Sébastien Ajavon. Reçu le week-end écoulé dans le cadre d’une émission diffusée sur plusieurs chaines de télévision et de radio, Sébastien Ajavon a démontré que Patrice Talon fait déjà regretter aux Béninois leur choix de mars 2016.
Sébastien Ajavon s’est dit très déçu des 12 premiers mois de Patrice Talon. En rompant un long silence ce week-end, l’ancien allié du Chef de l’Etat a trouvé que l’an 1 de la Rupture a été presque un gâchis. « Je me sens un peu responsable (…) Je me sens même coupable. Mais l’élection s’est passée dans un contexte avec des résultats du premier tour que je pouvais contester. Mais pour la paix j’ai choisi de ne pas contester. L’un des deux premiers était chef d’entreprise même s’il ne connaissait que les marchés d’Etat. J’ai résisté aux pressions pour pouvoir l’amener au pouvoir. Lui-même est allé solliciter mon soutien. C’est là la meilleure preuve qu’il comprenait l’importance de mon choix. Dieu a voulu qu’il soit président de la République. Je ne reviens pas là-dessus. Mais à l’heure du bilan des 12 premiers mois, je suis très déçu. Car nous avons régressé. Je ne peux concevoir que moi, au pouvoir, je ne puisse pas faire mieux que le Président Yayi Boni », a-t-il déclaré. Et de préciser : « Le peuple a faim plus que sous le Président Yayi Boni».
Se prononçant certaines réformes exécutées ces derniers mois, Sébastien Ajavon a déploré la remise en selle du Programme de vérification des importations (Pvi). « Le Pvi profite à une entreprise privée au lieu de profiter à l’Etat. Elle vient se grever sur les importations et prélever des recettes sur chaque container, contrôlé ou non». Pour lui, l’opération de scanning pourrait coûter entre 10 milliards et 15 milliards F CFA au Bénin. Des pertes énormes pour l’économie nationale selon le candidat malheureux à la présidentielle de 2016. Pour lui, il aurait été possible de laisser le contrôle des importations à l’Etat.
« Réintégrez les déguerpis »
Sébastien Ajavon a désapprouvé le déguerpissement des occupants illégaux des domaines publics. « On cherche des termes voilés pour nuancer et cacher le désordre que l’on a causé. Il s’agit d’une opération de casse. Le Chef de l’Etat a dit qu’il a un projet pour construire des marchés. Mais il fallait faire des études. Le bon sens indique qu’on fait les études d’abord. Il y a un vrai problème de méthode», a-t-il fait remarquer. Il martèlera : « Qu’on ne nous trompe pas. A Abidjan et à Paris d’où je suis rentré sous peu, j’ai vu des baraques à Abidjan sur l’emprise publique. En France les trottoirs sont occupés par des restaurants et boutiques de commun accord avec la mairie de Paris (…) En attendant de faire les études, construire, réintégrez les populations dans leurs emplacements». Très sensible à la situation des droits de l’homme, le Patron des patrons ne s’est pas empêché de condamner l’interdiction des activités des organisations estudiantines et la fermeture momentanée de plusieurs organes de presse. A l’entendre, c’est un scandale. « J'ai dit au Président de la République que ce n'est pas possible qu'il suspende les mouvements étudiants puisque ce sont des associations. Et qu'il ne peut pas suspendre en l'état ce dont il a abondamment profité», a-t-il déclaré. Sébastien Ajavon a par ailleurs déploré la situation qui prévaut dans la filière coton. A l’écouter, les intrants importés par le biais des entreprises que gérait le Président Talon, rentrent au Bénin sans payer des taxes. Au sujet du succès annoncé dans la même filière, l’homme d’affaires a montré que cela ne devrait pas étonner puisque c’est un seul homme qui contrôle ladite filière. «Le Président Talon s’est félicité des résultats de la campagne cotonnière : 400.000 tonnes. Où est le mérite lorsqu’une société est en situation de monopole? (…) Le président Talon suggère un nouveau modèle basé sur la production et la transformation et non le commerce. Il est dans le coton depuis des décennies. Combien a-t-il investi dans des usines de transformation pour le textile par exemple?», s’est-il interrogé.Il fustigera également un emprunt obligataire opéré ces dernières semaines par le régime de Patrice Talon. « L’emprunt obligataire de 10 milliards dont le président de la République s’est félicité, la réalité est grave. La Caisse nationale de sécurité sociale qui collecte les cotisations des privés pour leurs pensions, a souscrit cet emprunt pour 40 milliards. De même les banques de la place qui détiennent les dépôts à terme de la caisse sont contraintes de souscrire cet emprunt avec le chantage de leur retirer les dépôts à terme de la Cnss», a-t-il informé.
Barre très haut…
Sébastien Ajavon a également critiqué le projet de de révision de la Constitution envoyé par Patrice Talon au Parlement. « Le projet de révision de la Constitution semblait être un projet taillé sur mesure (…) Je remercie les 22 députés, plus un, parce qu’ils ont compris que c’était un marché de dupe», a-t-il souligné. Pour lui, la révision de la Constitution est nécessaire, mais il faut « une révision consensuelle en allant devant le peuple». Il précisera : «Je connais le peuple béninois. Il votera à une grande majorité si on ne lui laisse pas croire qu’il s’agit d’un projet personnel». Interrogé sur ses éventuels choix lors de la présidentielle de 2021, Sébastien Ajavon a semblé annoncer une vraie offensive : « En 2021, je mettrai la barre très haut. Si je ne sens pas que je dois venir pour rendre service, être utile, plébiscité par les populations, peut-être que je n’y serai pas ». Il a poursuivi : « Oui le Président d la République a dit qu’il avisera. Il faut savoir que le Président pourra aviser pour lui-même et le peuple décidera. Avant toute chose, il est question de travailler et de franchir les étapes : législatives, communales et locales avant la présidentielle ». Sébastien Ajavon doutera des capacités d’opérateur économique de Patrice Talon : «Il y a plusieurs catégories d’opérateurs économiques. J’ai choisi de ne pas faire des marchés d’Etat. Je suis un pur privé et social. A quelle catégorie d’opérateur économique le Président Talon appartient, je laisse les populations en juger. Mais il n’est écrit nulle part que Sébastien Ajavon doit impérativement être Président de la République. Mais si c’est écrit par Dieu, qui suis-je pour dire non si je peux être utile». L’homme d’affaires qui dit n’avoir actuellement aucun ministre au gouvernement a indiqué s’être libéré de ses responsabilités professionnelles pour se consacrer davantage à la politique. Il pourrait créer bientôt un regroupement politique et nouer des alliances avec des jeunes acteurs politiques ambitieux disponibles pour concrétiser sa vision. A tout le moins, Sébastien Ajavon a dénoncé la gestion de Patrice Talon et promis de faire désormais le même exercice chaque fois que le gouvernement étalera ses errements.
Mike MAHOUNA