Les médias internationaux se passionnent de plus en plus pour le président Patrice Talon. Son style plaît, sa gouvernance faite de réformes majeures, suscite de plus en plus d’intérêt. C’est dans ce cadre qu’après sa remarquable prestation sur les médias nationaux, Patrice Talon était l’invité, samedi 15 avril ; de l’émission « Le débat africain » animée par Alain Foka. Pendant 20 minutes, Patrice Talon s’est prononcé sur sa gouvernance, sa réforme constitutionnelle et les autres réformes. Voici l’intégralité de cet entretien.
Rfi : Un an après votre accession à la magistrature suprême du Bénin, est-ce que vous avez pu réaliser ce que vous souhaitiez faire dans ce laps de temps?
Patrice Talon : Je suis en train. Je ne peux pas dire que je suis satisfait du chemin parcouru. Mais je ne suis pas mécontent de ce qu’on a pu faire.
Lorsque vous dites cela, on va dire que vous êtes optimiste ou vous avez envie de ne pas dire la réalité, puisqu’on vient de faire échec à votre principale réforme pour la première année?
Je suis réaliste. Nous avons opéré des réformes au plan structurel. Dans la gestion de l’administration, nous avons fait passer des lois qui sont importantes pour la réforme du modèle administratif. Mais au plan politique, ce qui était pour moi une réforme majeure, la réforme politique et institutionnelle, effectivement,que j’ai mis tant de temps, de mois à élaborer, n’a pas pu être examiné.
Est-ce qu’il ne vous a pas manqué simplement le sens du dialogue, parce qu’un texte où vous réduisez le nombre de mandats à un seul devrait réjouir tout le monde ?
Je suis ravi que vous ayez relevé que cette réforme instaure une meilleure reddition des comptes et réduit le niveau de protection exagérée en cours actuellement où les ministres et les gouvernants ne peuvent jamais répondre de leurs actions devant la justice. J’ai donc proposé au titre des dispositions nouvelles que les gouvernants, une fois déchargés de leurs fonctions, puissent répondre devant des tribunaux ordinaires sans qu’il ne soit nécessaire de lever une quelconque immunité. Le mandat unique devait commencer par moi-même.
Cela veut dire que vous n’allez pas faire un second mandat ?
Cela était clair dans notre projet de révision. Nous avons dit explicitement qu’il ne s’agit ni d’une nouvelle Constitution, ni de l’instauration d’une nouvelle République. Et nous avons précisé également que nul ne peut être désormais candidat, s’il a déjà été de sa vie, président de la République. Cette disposition aussi explicite,c’est pour apaiser tout le monde, y compris ceux qui sont suspicieux et pensent qu’on peut toujours, à l’occasion d’une interprétation tendancieuse de la Constitution, à un moment donné, dire non, non,non je peux être candidat.
Monsieur le président ! Est-ce réaliste de dire à un homme politique qui s’est battu durant toute sa vie pour être président, qu’il a juste six ansà faire ?
Mais pourquoi quelqu’un devait-il se battre durant toute sa vie pour être président ? Est-ce qu’être président est un métier ? C’est cela ce qu’il y a de pervers dans la fonction. On ne peut pas être obnubilé toute sa vie que par cettefonction.
Monsieur le président ! Vous savez très bien qu’avec un tel projet, vous devez être combattu. Quand on regarde ce qui vient de se passer, est-ce que vous n’êtes pas fragilisé pour la suite du mandat ?
Monsieur Foka !Sur 83 députés qui composent le Parlement du Bénin, 60 ont voté pour l’examen. 23 ont voté pour ne pas l’examiner. En fait, je vous le dit, il y avait des gens influents, importants dans le pays, qui font partie de notre cité,et qui n’ont d’intérêt que de ne jamais voir le jardin fleurir parce que c’est Monsieur Talon qui l’arrose, même si ce jardin est le leur.
J’imagine que vous parlez de vos concurrents dont fait partie un de vos alliés d’hier, monsieur Ajavon.Vous empêche-t-il d’avancer ?
Je ne veux pas focaliser le débat sur une personne.
Mais c’est une personne qui vous a accompagné monsieur le président ?
Mais bien sûr.
Et c’est une personne qui a des députés à l’Assemblée nationale ?
C’est bien cela que je vous explique.
Est-ce que vous allez le représenter ce texte, parce qu’on vous a vu passablement énervé lorsque cela s’est passé, et dire ;« j’arrête avec ça et je passe à autre chose… »
Je constate aujourd’hui qu’il y a une bonne partie de la classe politique, en fait une petite partie, mais leur nombre est suffisant pour bloquer l’examen du projet de révision. Vous savez, je ne fais pas la langue de bois. L’environnement politique actuel au Bénin, la composition de la classe politique, la situation institutionnelle du pays aujourd’hui n’est pas favorable à mon projet de révision. Pourquoi ? Pas à cause du contenu, juste parce qu’il faut que monsieur Talon échoue dans tous les cas. Ce que je vais faire, c’est que le temps n’était pas en ma faveur parce que j’avais les yeux rivés sur mon chrono. Désormais, le temps est mon allié. J’attendrai que l’environnement politique, la composition des institutions du pays soient plus favorables pour la révision, pour les réformes. Et en ce moment, j’aurai plus d’aisance à conduire, à proposer ce que j’estime bon pour mon pays et débarrasser alors des contingences politiciennes.
Quand vous dites cela, on pense à deux choses. Soit, il veut dire là qu’il va se représenter dans quatre ans.
Je n’ai pas dit cela.
Ça ressemble à ça. Quand on dit « j’ai mon temps» et qu’on a qu’un seul mandat, on a très peu de temps. Ça c’est une option.
Dans les mois à venir, les échéances électorales, les échéances de renouvellement des institutions…
A la Cour constitutionnelle par exemple ?
Je suis direct. J’ai ce défaut que je n’ai pas pour habitude de masquer mes propos. Je dis que les temps à venir, les mois à venir vont nécessairement me donner plus de moyens pour engager des réformes pour lesquelles j’ai besoin d’une grande majorité, d’une grande adhésion. Ce qui est important à noter, c’est que désormais je n’ai plus les yeux rivés sur mon chrono.
Vous serez un peu plus politique désormais ?
Tout à fait !
Monsieur le président, la première année a été émaillée de quelques affaires, de quelques tensions politiques. A l’instant, on parlait de monsieur Sébastien Ajavon qui était l’un de vos partenaires, 3ème à l’élection présidentielle qui s’est rallié à vous et qui s’est retrouvé pris dans une affaire de cocaïne ici au Bénin (18 kg de cocaïne retrouvés dans l’un des conteneurs de la société qu’il dirige). Visiblement, cette affaire vous a éloignés. Il vous accuse de complot, d’être derrière ce complot contre lui. Vous, vous avez gardé un silence assourdissant sur la question, ne l’appelant jamais. Qu’est-ce qui s’est passé ?
J’ai été assez malheureux de vivre en direct ce qui s’est passé. Monsieur Ajavon se trouve être confronté à ce que vous venez d’évoquer et il n’a pas trouvé mieux,c’était son moyen de défense,c’était le seul moyen de défense qui lui paraissait convenable, de dire que c’est un complot. Et pour qu’un complot soit le plus crédible en cette matière, il fallait qu’il dise que c’est le Chef de l’Etat ou soit c’est le Gouvernement. C’est un prétexte facile qui a peut-être marché, je ne sais pas.Mais, je n’ai rien dit parce que j’ai été malheureux de voir ce qui s’est passé. Je suis resté calme. Mon rôle n’est pas de m’attarder sur les difficultés de quelqu’un qui, pour s’en sortir, évoque mon nom. Un président en Afrique, comme on dit, est une poubelle. Mais ce n’est pas grave. L’essentiel est que moi j’avance.
Ce n’est pas la seule critique qui est faite. Un président qui vient du monde des affaires, qui a des sociétés dans le pays. Est-ce qu’il n’y a pas régulièrement des conflits d’intérêts ? On entend régulièrement que ces sociétés gagnent des marchés. Est-ce que vous vous êtes vraiment éloigné ? Est-ce que la présidence ne vous permet pas de vous faire un peu plus d’argent ?
C’est réel qu’il y a des risques de conflits d’intérêts. Ce risque est normal. Je ne dis pas que les craintes que peuvent avoir les Béninois ne sont pas fondées. Mais est-ce que mon action au quotidien est de faire tout pour ne pas donner raison à ces craintes, à ces appréhensions ?
Alors ?
J’agis pour qu’il n’y ait pas de prise d’intérêts illicites. Vous savez, j’ai fait beaucoup de choses dans ma vie. J’ai fait un parcours dont je suis très fier. Au plan matériel, je suis à l’abri du besoin. Je suis arrivé à un stade où j’aspire à autre chose, à un peu plus de mérite au plan national, contribuer à quelque chose qui me révèle davantage à moi-même et à ma Nation. Vous savez, c’est assez motivant cela. Mais est-ce qu’il n’y a pas plus de risque pour quelqu’un qui manque de tout, qui n’est pas à l’abri du besoin, d’exercer cette fonction que pour quelqu’un qui est à l’abri du besoin ? Je le constate tous les jours. Je vois combien cette fonction amène des tentations. Combien on vous tente. Je vais vous dire, les entreprises dont il est question, qui aujourd’hui appartiennent à mes associés, à mes héritiers, à des gens à qui j’ai cédé des parts, n’ont jamais encore enlevé aucun marché. Je veille à cela.
Dans le coton, dans le Port ?
Dans le coton, mes entreprises que j’avais à l’époque et qui aujourd’hui appartiennent à mes anciens associés et héritiers sont dans le coton depuis 30 ans. Vous ne voulez quand même pas que je demande à ceux-ci de fermerles entreprises parce que je suis devenu président. Le coton va très bien.
Là, vous avez évoqué la question première, qui est celle du coton.Et le Port ?
Le Port n’a jamais appartenu à la société Bénin Control dans laquelle j’avais des intérêts. Je n’y suis plus, c’est vrai,mais la crainte est peut-être justifiée, la suspicion est peut-être justifiée. Mais on ne peut pas dire d’emblée que je serais un mauvais président de la République au profit des entreprises qui m’ont appartenu jadis.Il faut observer pour voir si ça se passe bien. Et en cela, dites-vous que j’aurais tellement de fierté à réussir ce mandat, à faire des choses de manière convenable.Je suis celui qui sera le meilleur garant des intérêts de l’Etat face à ces entreprises-là. Il n’y a pas meilleur gardien des intérêts de l’Etat face à ces entreprises qui jadis m’ont appartenu.
Alors, l’autre aspect M. le président, c’est le style Talon. Je reviens dessus parce que Talon dit : « Je défends le peuple. Je défends les Béninois. Je défends les plus pauvres », mais lance une grosse opération de déguerpissement. Pourquoi n’avoir pas été clément envers ces concitoyens qui exerçaient leurs activités sur le domaine public ?
Cotonou fait pitié tel qu’elle était. La pagaille qui caractérise la plupart de nos villes africaine sa laissé Cotonou dans l’état où nous l’avons trouvé. Nous avons dit qu’il est important que nous comprenions qu’il faut respecter l’ordre, qu’il faut respecter les trottoirs, qu’il ne faut pas que chacun envahisse l’espace public à son gré.
Mais pourquoi ne l’avoir pas fait avec la mairie où visiblement le maire Léhady Soglo était contre le principe que vous avez utilisé ?
Mais la mairie de Cotonou est complice et coupable de tout ce qui s’est passé. La mairie de Cotonou prélève des taxes chez des gens qui sont installés sur les trottoirs.
Votre grand plan que vous avez lancé à grande pompe, le Bénin Révélé, c’était le Programme d’actions du gouvernement (Pag). Votre Pag coûte près de 10 000 milliards de FCfa. Où allez-vous trouver l’argent ?
Notre ambition ce n’est pas que l’Etat investisse tous les montants nécessaires. C’est de créer l’environnement également pour que le secteur privé investisse.
Dans le Pag, il y a 60 % d’investissements privés et 40% pour l’Etat?
Nous nous sommes investis dans le Programme. Nous allons faire les efforts qu’il faut au niveau du gouvernement pour créer cet environnement et nous avons quantifié les besoins, les secteurs dans lesquels il peut y avoir de la créativité, de l’attractivité pour les investissements.
Lesquels ?
Dans le domaine du tourisme, qui est pour nous le choix le plus fondamental en matière de nouvelle économie et le domaine du numérique. Voilà les domaines dans lesquels, il y a possibilité de créer de la richesse, de l’emploi. Il y a également le secteur agricole. Vous savez, le secteur privé, ce n’est pas seulement les investisseurs internationaux, ce n’est pas seulement les gros investisseurs financiers, mais de petits investisseurs qui peuvent exploiter un périmètre dans le bassin d’un cours d’eau pour faire du riz, faire des cultures maraichères. Parfois, il est important et nécessaire que l’Etat fasse un minimum parce que les gens n’ont pas les moyens, pour créer les conditions parce qu’ils n’ont pas les moyens. Donc, c’est la somme de tous les investissements que le secteur privé peut faire.
Ce montant là, vous le trouvez où ?
Je vais vous donner un exemple. Dans le secteur de l’énergie par exemple, nous avons en quelques mois réussi à avoir l’expression d’intérêts avérés de grands groupes qui vont investir plus de 500 milliards de FCfa dans le secteur de l’énergie. Quand on fait la somme de ce que nous sommes aujourd’hui en train de contracter comme projets Ppp avec le secteur privé, c’est près de 500 milliards de francs Cfa qui sont déjà disponibles. Ça n’a pas été un miracle de le faire. Il s’agit simplement d’avoir l’intelligence, de créer des conditions nécessaires, parce que le besoin est là. Il y a de besoins énormes. Ces besoins peuvent trouver du répondant près des investisseurs quand les conditions ordinaires sont remplies.
Le Nigeria voisin, c’est une vraie préoccupation pour un pays comme le Bénin. Lorsque le Nigéria va mal, est-ce que fatalement, le Bénin ne va pas mal ?
Forcément ! C’est un grand voisin. Une bonne partie de notre économie, notamment le commerce, dépend du Nigéria. Malheureusement, nous faisons beaucoup d’importation et de la réexportation vers le Nigéria. Et quand le Nigéria va mal, quand le pouvoir d’achat baisse à cause du cours du pétrole ou du taux de change du Naïra par rapport aux devises du monde, le commerce au Bénin prend un coup immédiatement, y compris nos recettes. Mais c’est parce que le modèle dans lequel nous nous complaisons n’est pas bon. Si les Béninois travaillaient à créer de la valeur ajoutée, à transformer, à produire au Bénin pour le marché Nigérian, nous serons moins vulnérables que le fait d’importer et de réexporter à l’état brut des produits manufacturés. Parce que ce que nous faisons jusque-là, nous importons des produits manufacturés que nous réexportons vers le Nigéria. Si on transformait, si on produisait ici, nous aurons un coup de production qui serait plus compatible avec le Nigéria quelle que soit le taux de change du Naïra avec les devises internationales. Donc, aujourd’hui, il est important que le secteur agricole au Bénin regarde le Nigéria comme un marché éternel, que les services au Bénin regardent le Nigéria comme un marché éternel, que le tourisme regarde le Nigéria comme un marché éternel quel que soit le taux de change du Naïra avec les devises. Et en cela, nous aurons créé une économie plus dynamique pour être capable de capter tous les intérêts de la sous-région.
Vous parlez de devises. Le grand débat en ce moment est celui du FCfa. Est-ce un avantage ou un handicap pour des pays comme le vôtre d’avoir une monnaie comme celle-là qui est arrimée à l’international certes, mais qui ne peut pas faire l’objet de réajustements en fonction de l’économie ?
Ce débat m’amuse parfois parce que bon nombre d’Africains disent ‘’oui c’est à tort que les pays de l’Uemoa sont dans une relation aussi figée avec l’Euro’’. Il y a deux choses qu’il faut séparer et qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. C’est le niveau du Cfa par rapport au Dollar ou à l’Euro. Est-ce que le Cfa est surévalué ? Et deuxièmement, pourquoi avoir le Cfa en stabilité permanente avec l’Euro? Le fait que le Cfa soit en parité fixe avec l’Euro, n’est pas du tout un handicap, pas du tout. La stabilité d’une monnaie par rapport aux devises est un avantage. Ce qu’il faut se demander est : est-ce que le niveau de la parité est à notre avantage? Est-ce que le Cfa n’est pas trop fort ? En maintenant même sa stabilité avec cette grande devise qu’est l’Euro, est-ce qu’il ne faut pas baisser la parité ? C’est un débat qu’il faut faire. Mais quand on regarde aujourd’hui les conséquences d’une dévaluation éventuelle du FCfa, d’abord cela ne nous apportera rien du tout. Deuxièmement, cela va aggraver le niveau de pauvreté parce que les pays de l’Uémoa n’ont pas encore un niveau de production suffisant pour capter systématiquement les effets d’un ajustement monétaire, parce que l’ajustement monétaire, c’est vrai, favorise la compétitivité, mais il faudrait que vous produisiez. Nous avons des pays qui ont, pour l’essentiel, des produits agricoles. Mais vous savez, le changement de parité n’a pas d’influence sur le coût des matières premières, pas du tout alors. C’est quand vous créez de la valeur ajoutée, quand vous faites des efforts au plan interne pour créer de la richesse que votre effort que vous produisez dans votre devise locale est valorisée autrement par rapport aux devises internationales quand il y a changement de parité. Donc, nous n’avons pas un niveau de production suffisante, nous n’avons pas un outil de production suffisante pour bénéficier automatiquement des effets de changement de parité, du niveau de Cfa par rapport aux autres devises. Par contre, nous consommons beaucoup de produits facturés, malheureusement encore aujourd’hui. Et les recettes d’exportation, les devises que nous obtenons avec l’exportation de nos matières premières, permettent de couvrir nos besoins en matière d’importation de produits manufacturés. C’est pour cela que nous avons suffisamment de réserves pour que le Cfa reste dans cette dynamique. Aujourd’hui, nos réserves en devises couvrent plus de 5 mois d’importation alors que le standard a recommandé environ 3 mois. Donc, nous avons suffisamment de marges de manœuvre pour que la balance ne nous pénalise pas. Mais je continue de vous dire que si jamais nous décidions malgré cela de modifier notre parité, de dévaluer le FCfa, cela va générer beaucoup de pauvreté, de misère sans que cela nous apporte quelque chose d’intéressant en matière de compétitivité.
Merci M. le président.
Merci.
Propos recueillis par Alain Foka (Rfi)