- 06 octobre 2016 enregistrée à son secrétariat le 10 octobre 2016 sous le numéro 1650/135/REC, par laquelle Monsieur Kouassi Ahoudjezo Ayato forme un « recours en inconstitutionnalité contre les actes réglementaires issus du Conseil des ministres du 05 octobre 2016 en ce qui concerne l’interdiction d’activités associatives et nouvelles conditions d’exercice d’activités, de reconnaissance d’associations estudiantines et la décision rectorale de l’Université d’Abomey-Calavi excluant certains étudiants, en méconnaissance du droit à la libre défense et du principe du contradictoire » ;
- 21 octobre 2016 enregistrée à son secrétariat à la même date sous le numéro 1709/144/REC, par laquelle Monsieur Vignon Amédée Serge Weinsou forme un recours en inconstitutionnalité des mêmes décisions du Conseil des ministres du 05 octobre 2016 ;
- 13 octobre 2016 enregistrée à son secrétariat le 28 octobre 2016 sous le numéro 1746/148/REC, par laquelle Monsieur Armand Martial S. Ahoyo forme un recours en inconstitutionnalité des mêmes décisions du Conseil des ministres du 05 octobre 2016 ;
- 26 octobre 2016 enregistrée à son secrétariat le 02 novembre 2016 sous le numéro 1769/150/REC, par laquelle Monsieur Aboubakar Baparape forme un «recours pour inconstitutionnalité du décret…du 05 octobre 2016 portant interdiction des activités des organisations faîtières et associations estudiantines dans les universités publiques du Bénin. » ;
Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;
Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Madame Marcelline-C. Gbèha Afouda en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
Contenu des recours
Considérant que Monsieur Thierry Dovonou expose qu’au cours de son point de presse du mercredi 05 octobre 2016, le ministre d’Etat, Monsieur Pascal Irenée Koupaki, a déclaré : « Face à la recrudescence des faits de violence et de vandalisme et pour des raisons qui sont inhérentes à l’ordre public, le Gouvernement a pris les deux décisions suivantes : la première : toutes les fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d’étudiants sont interdites d’activités dans toutes les quatre universités nationales ; la deuxième : les conditions d’exercice des activités et/ou de reconnaissance des associations d’étudiants sont définies par décret pris en Conseil des ministres » ; qu’il estime que ces décisions violent l’article 25 de la Constitution qui garantit la liberté d’association et de manifestation dans des conditions fixées par la loi et non par décret comme le fait le Gouvernement ; qu’il demande à la Cour « l’annulation des deux décisions du 4 octobre 2016 du Gouvernement du président Talon qui violent la Constitution. » ;
Considérant que Monsieur Kouassi Ahoudjézo Ayato expose quant à lui : « Le présent recours vise à saisir la Cour constitutionnelle aux fins de voir :
- déclarer contraire à la Constitution la décision prise en Conseil des ministres le 05 octobre 2016, en ce qui concerne le décret portant interdiction d'activités des fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d'étudiants dans toutes les universités nationales du Bénin: violation des droits humains et des libertés publiques ;
- déclarer contraire à la Constitution la décision objet d'un prétendu décret adopté par le même Conseil pour définir les conditions d'exercice d'activités et/ou de reconnaissance des associations d'étudiants: violation de la garantie constitutionnelle de la jouissance de la liberté d'association ;
- apprécier la constitutionnalité de la décision rectorale de l'Université d'Abomey-Calavi rendue publique par le journal ‘’Le Matin du 03 août 2016 sous le numéro 5736’’, portant exclusion de 21 étudiants, au mépris du principe à valeur constitutionnelle ‘’le droit à la libre défense’’ et du droit à un procès équitable comprenant le respect du principe du contradictoire … » ; qu’il développe : « Sur le premier grief relatif à la violation des libertés publiques et des droits humains reproché à la décision du Conseil des ministres du 05 octobre 2016, en ce qui concerne la vie associative des étudiants : la Constitution…en son article 25 dispose: ‘’L'État reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d'aller et venir, la liberté d'association, de réunion, de cortège et de manifestation ‘’.
Conformément à ces dispositions constitutionnelles relatives à la liberté d'association, de réunion, de cortège et de manifestation, aucune restriction ne peut être portée auxdites libertés en dehors des conditions édictées par la loi. Il en résulte qu'aucun acte réglementaire ne peut intervenir en cette matière (réservée au législateur pour garantir la jouissance de ce droit constitutionnel) afin d'interdire la liberté d'association, de réunion ou de manifestation en dehors des conditions fixées par la loi.
En l'espèce, au lieu d'une loi ou d'un projet de loi, des restrictions graves ont été portées à la liberté d'association et de réunion en milieu estudiantin. En effet, en adoptant en Conseil des ministres tenu le 05 octobre 2016 un décret qui ne garantit point la pleine jouissance de ce droit constitutionnel, mais plutôt un acte règlementaire portant interdiction des activités de toutes les fédérations, unions, associations ou organisations faîtières dans toutes les universités nationales, le Gouvernement et son chef ont violé les dispositions … de l'article 25 de la Constitution.
Du reste, les prétendues motivations, ‘’face à la recrudescence des faits de violence et de vandalisme et pour des raisons inhérentes à l'ordre public, il revient à l'autorité administrative de prendre les mesures de nature à garantir à tous l'accès pacifique et sécurisé aux campus universitaires’’, ne peuvent légitimer la nature arbitraire d'une telle décision … qui affecte non seulement la vie associative (sans l'observance du principe du contradictoire), mais surtout supprime le libre exercice des activités associatives d'autres universités (Parakou, Porto-Novo et autres) étrangères à la crise.
Ces allégations qui ne constituent que de simples renseignements devraient, pour leur crédibilité et l'équité de la mesure, faire l'objet d'une instruction ou enquête durant laquelle les organisations associatives suspectées exerceraient (par leurs représentants) leur droit constitutionnel relatif au droit à la libre défense comme l'exige l'article 17 de la Constitution : ‘’Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées ‘’.
En outre, l'on en déduit que le prétendu décret, subrepticement pris, définissant les conditions d'exercice d'activités et/ou de reconnaissance des associations d'étudiants, l'a été en violation des exigences constitutionnelles sus-indiquées qui en attribuent compétence exclusive au législateur. » ;
Considérant qu’il poursuit : « Le deuxième grief tient à la violation des droits humains reconnus par la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples qui fait partie intégrante de la Constitution, reproché au prétendu décret définissant les conditions d'exercice d'activités et/ou de reconnaissance des associations d'étudiants.
La Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples faisant partie intégrante de la Constitution béninoise stipule en ses articles 10 et 11 : " Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d'autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi" ; " Toute personne a le droit de se réunir librement avec d'autres. Ce droit s'exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes ‘’.
Ces dispositions qui consolident la reconnaissance constitutionnelle de la liberté d'association et de réunion n'admettent aucune restriction si ce n'est prévu par la loi et surtout dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d'autrui... Elles s'opposent à tout acte règlementaire qui fixerait des règles en cette matière et à toute interdiction générale qui s'assimilerait à une suppression ou à une dissolution de fait de mouvements associatifs, investis d'une compétence absolue d'administrer librement leurs affaires, sous réserve de l'intervention légale de la justice. Sur ce point, la doctrine affirme avec force que les organisations associatives ne constituent nullement des structures administratives dont la création, le mode de fonctionnement et la dissolution relèvent de l'autorité du chef de l'Administration. Conscient de la nature très sensible des libertés publiques, le droit constitutionnel a pris soin de conférer au législateur et non à l'Exécutif la compétence exclusive d'en fixer les règles de fond. C'est le sens de l'article 98 de la Constitution: ‘’ Sont du domaine de la loi les règles concernant: -la citoyenneté, les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; les sujétions imposées, dans l'intérêt de la défense nationale et la sécurité publique, aux citoyens en leur personne et en leurs biens’’.
En l'espèce, il ne revient pas au Gouvernement de fixer par décret des règles fondamentales relatives à l'exercice de la liberté d'association et de réunion. C'est dire que le Conseil des ministres ne peut adopter un acte règlementaire tendant à décréter des interdictions générales concernant les activités des associations d'étudiants. L'immixtion de l'Exécutif dans une matière concernant la liberté d'association dont la définition des règles relève du pouvoir législatif constitue une méconnaissance grave de la Constitution. » ;
Considérant qu’il ajoute : « Le troisième grief concerne la méconnaissance du droit reconnu à toute personne afin que sa cause soit entendue.
La Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples faisant partie intégrante de la Constitution béninoise stipule en son article 7 : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : …
b) le droit à la présomption d'innocence jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix’’.
Le droit reconnu à toute personne à ce que sa cause soit entendue s'impose à toute autorité, qui a l'obligation de mettre le justiciable ou l'administré en condition d'exercer son droit à la libre défense, avant de prendre à son encontre toute mesure répressive.
En l'espèce, la décision rectorale portant exclusion de certains étudiants de l'Université d'Abomey-Calavi, n'ayant pu satisfaire à cette exigence constitutionnelle, est constitutive de violation du droit à la défense (principe à valeur constitutionnelle). C'est donc une décision qui est contraire à la Constitution.
Au regard de ces différents actes qui renseignent suffisamment sur les atteintes aux droits humains et aux libertés publiques, il y a lieu de solliciter de la haute juridiction la censure desdits actes en déclarant contraires à la Constitution :
1- les mesures approuvées en Conseil des ministres le 05 octobre 2016, en ce qui concerne l'interdiction des activités de toutes les fédérations, unions, associations ou organisations faîtières dans toutes les universités nationales ;
2- l'acte réglementaire approuvé par le même Conseil pour fixer ou définir des règles concernant les conditions d'exercice d'activités et/ou de reconnaissance des associations d'étudiants, en ce qu'il fait immixtion dans une matière qui n'est partagée qu'entre le Constituant et le Législatif ;
3- la décision du recteur de l'Université d'Abomey-Calavi excluant certains étudiants, en ce qu'elle méconnaît le droit à la libre défense » ;
Considérant qu’en ce qui le concerne, Monsieur Vignon Amédée Serge Weinsou expose : « … Le mercredi 05 octobre 2016, le Gouvernement béninois a interdit toute activité des organisations estudiantines dans les universités publiques du Bénin.
Au soutien de sa décision, le Gouvernement a estimé que les ‘’Résultats d'enquêtes administratives sur le mode de recrutement par les organisations estudiantines d'anciens militaires et sur la délimitation de zones dites interdites sur les campus, ces zones étant devenues des zones de torture.’’
Le Conseil réaffirme avec les autorités rectorales que l'université est un haut lieu de savoir où doivent être garantis à tout moment, la paix, la sécurité et le libre accès au campus. Face à la recrudescence des faits de violence, de vandalisme et pour des raisons inhérentes à l'ordre public, le Conseil a pris les deux décisions suivantes: toutes les fédérations, unions, associations ou organisations faîtières estudiantines sont interdites d'activités dans toutes les quatre universités nationales ; les conditions d'exercice, d'activité et/ou de reconnaissance des associations d'étudiants sont définies par décret pris en Conseil des ministres.
Le Conseil a adopté un décret qui consacre ces deux décisions, dont le décret portant interdiction d’activités des fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d’étudiants dans toutes les universités nationales…".
Le ministre de la Justice, monsieur Joseph Djogbénou, lors du point de presse des membres du Gouvernement du mardi 11 octobre 2016 à Novotel, a déclaré que "La prérogative essentielle d'un Etat, c'est de prévenir toute atteinte à l'ordre public ...
La loi 1901, c'est la loi de la liberté d'association. Elle est une loi générale. Elle s'applique dans les conditions précisées par des décrets dans les secteurs spécifiques particuliers. La loi 1901 ne s'appliquera pas dans les lycées et collèges ainsi que dans les universités, les centres de santé, les endroits dans lesquels les militaires vivent. Pourtant, ces acteurs sont des citoyens bénéficiaires de la loi 1901 ".
Mais, cette décision du Conseil des ministres, d'une part, porte gravement atteinte aux droits fondamentaux de l'Homme et aux libertés publiques et individuelles en disposant que " Toutes les fédérations, unions, associations ou organisations faîtières estudiantines sont interdites d'activités dans toutes les 4 universités nationales ", d'autre part, dissout les associations et les organisations estudiantines existantes en énonçant aussi que "Les conditions d'exercice, d'activité et/ou de reconnaissance des associations d'étudiants sont définies par décret pris en Conseil des ministres’’.
Or, les droits fondamentaux de l'Homme et les libertés publiques sont consacrés par les instruments juridiques internationaux et nationaux, notamment les articles 8 et 10 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, 18 du Pacte international relatif aux Droits civils et politiques (PIDCP) du 16 décembre 1966 et 23, 25, 26 et 98 de la Constitution.
L'article 23 de la Constitution dispose que " Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culture, d'opinion et d'expression dans le respect de l'ordre public établi par la loi et les règlements". Quant à l'article 25, il prescrit que" l'Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d'aller et venir, la liberté d'association, de réunion, de cortège et de manifestation".
La Constitution est donc la loi fondamentale supérieure sur laquelle repose le régime gouvernemental. Elle consacre les droits et libertés ainsi que les garanties fondamentales nécessaires à leur exercice et à leur protection et détermine les fonctions et compétences des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire tout en traçant les limites et restrictions concernant les activités de ces trois pouvoirs, de façon à éliminer toute immixtion de l'un dans la sphère de compétence de l'autre.
La loi est ainsi considérée comme une garantie pour les droits et libertés des individus. Toute réglementation de la liberté faite par le Gouvernement doit se conformer à la loi.
Le Gouvernement, en réglementant tel qu'il l'a fait, a empiété sur le domaine réservé à la loi par les articles 25 et 98 de la Constitution.»; qu’il fait observer : « Les dispositions constitutionnelles ont été maintes fois réaffirmées par la Cour constitutionnelle.
En effet, la haute juridiction, dans l'affaire « Bossou contre le Misat» relative à l'arrêté n° 260/MISAT/DC/DAI/SAAP du 22 novembre 1993 fixant les conditions limitatives à l'exercice de la liberté d'association, a clairement indiqué que ‘’ les conditions et modalités d'exercice que le ministre de l'Intérieur, de la Sécurité et de l'Administration territoriale pourrait décider dans le cadre de l'enregistrement des associations doivent se conformer aux prescriptions de la loi ; qu'il s'ensuit que l'arrêté querellé viole la Constitution’’ (cf décision DCC 16-94 du 27 mai 1994 et décision DCC 00-003 du 20 juin 2000, dans l'affaire « le bureau de l'association de développement Wanignon de Toffo (ADWAT) contre le sous-préfet de Toffo, Comlan Affon Amonmi).
La Cour constitutionnelle, dans l'affaire ‘’Union nationale des Scolaires et Etudiants du Bénin (UNSEB) contre le MISAT", a également décidé que ‘’dès qu'une association est régulièrement déclarée et que cette formalité est accomplie, elle est dotée de la capacité juridique et peut sans autre procédure spéciale, mener toute activité dans le cadre de la loi " (cf. décision DCC 95-033 du 1er septembre 1995).
Il ressort de cette décision qu'aucune restriction n'est donc faite aux associations estudiantines régulièrement déclarées pour jouir pleinement de leur liberté d'expression, de réunion et de manifestation.
monsieur Joseph Djogbénou, en déclarant que " La loi 1901, c'est la loi de la liberté d'association. Elle est une loi générale. Elle s'applique dans les conditions précisées par des décrets dans les secteurs spécifiques particuliers. La loi 1901 ne s'appliquera pas dans les lycées et collèges ainsi que dans les universités, les centres de santé, les endroits dans lesquels les militaires vivent. Pourtant, ces acteurs sont des citoyens bénéficiaires de la loi 1901’’, crée ainsi une discrimination entre les associations estudiantines et les autres associations, ce, en violation des dispositions de l'article 26 de la Constitution.
Il résulte de tout ce qui précède, qu'en interdisant comme il l'a fait, le Gouvernement a empiété sur le domaine de compétence du législatif. En conséquence, il a violé les dispositions des articles 8 et 10 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, 18 du Pacte international relatif aux Droits civils et politiques (PIDCP) du 16 décembre 1966 et 23, 25, 26 et 98 de la Constitution.
En réalité, l'objectif du Gouvernement est de museler à terme les libertés publiques et individuelles sous des prétextes fallacieux et infondés. » ; qu’il demande à la Cour de « déclarer … contraire à la Constitution, pour violation des articles 8 et 10 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, 18 du Pacte international relatif aux Droits civils et politiques (PIDCP) du 16 décembre 1966 et 23, 25, 26 et 98 de ladite Constitution, la décision d'interdiction des activités des fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d'étudiants dans toutes les universités nationales » ;
Considérant que Monsieur Armand Martial S. Ahoyo écrit, quant à lui : « … Lors du Conseil des ministres du 05 octobre 2016, notre Gouvernement a pris un projet de décret portant interdiction des activités des associations et organisations estudiantines faîtières dans les universités nationales du Bénin. Ce décret est pris, selon le Gouvernement, après examen des résultats des enquêtes administratives sur des cas de violences et de vandalismes survenus sur le campus d'Abomey-Calavi.
Or, curieusement, aucun responsable des différents mouvements et associations de nos universités n'a été informé desdites enquêtes administratives.
Plus grave encore, sans consultation préalable des différents responsables des associations étudiantes et au mépris des agréments de ces associations et des chartes qui régissent leur fonctionnement, le Gouvernement, par son décret, substitue le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique aux associations étudiantes en l'instruisant à l'effet de présenter un projet de décret portant conditions et modalités de reconnaissance, par l'État, des associations estudiantines, ainsi que leur mode de fonctionnement dans l’enceinte des universités publiques. Ainsi, le Gouvernement vient clairement de dévoyer l’article 25 de notre Constitution...
C’est en tant que "Gardien de notre Constitution" que je viens ici vous interpeller, même si j’ai conscience que vous n’avez pas besoin d’être "saisi" pour faire respecter les principes fondamentaux de notre République, en particulier "la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation", qui ne peuvent être soumis aux caprices d’un Gouvernement.
Je compte sur l’examen sérieux que vous allez porter à ma requête pour assurer le fonctionnement normal et régulier de toutes les associations et mouvements de la République » ;
Considérant que monsieur Aboubakar Baparapé, saisissant la Cour d’un « recours en inconstitutionnalité du décret pris le 05 octobre 2016 en Conseil des ministres par le Gouvernement du président de la République, chef de l'Etat, Patrice Talon, portant interdiction d'activités aux organisations faîtières, unions et associations estudiantines dans les universités publiques du Bénin», expose : « Le décret querellé dispose :
"Article 1er : Toutes les Fédérations, Unions, Associations ou Organisations faîtières d'étudiants sont interdites d'activités, dans toutes les Universités nationales du Bénin.
Article 2 : Les conditions d'exercice d'activités et ou de reconnaissance de nouvelles associations sont définies par décret pris en Conseil des ministres.
Article 3 : Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et de la Législation et les Recteurs des universités nationales sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de prendre les dispositions nécessaires pour l'application du présent décret.
Article 4: Le présent décret qui abroge toutes les dispositions antérieures contraires sera publié au Journal officiel… ".
Les motifs qui sous-tendraient ce décret seraient, entre autres considérants, que : "…Les organisations estudiantines recrutent d'anciens militaires et organisent des camps d'entrainement paramilitaire physique et politique, réunissent des étudiants en État-major dans le but de former des soldats étudiants, que des responsables d'organisations estudiantines ont défini sur des campus universitaires des zones dites interdites où sont érigées des divinités de censure...
Les enceintes universitaires sont devenues des zones de torture d’étudiants par des membres agissant sous la bannière d’organisation estudiantine…
Comme l'illustrent les photos, vidéos et autres témoignages de responsables d'organisation estudiantine,…les séries de violences perpétrées sur des étudiants, professeurs et autres usagers dans l'enceinte du campus universitaire ainsi que les actes de vandalisme sur les infrastructures universitaires et autres ouvrages publics suite aux manifestations organisées par les bureaux d'organisation estudiantine sont imputables aux faîtières d'organisation estudiantine avec leur structure spécialisée qui s'affrontent parfois au lieu de privilégier la voie du dialogue ".
Mais, …le préambule de notre Constitution énonce clairement ce qui suit : " Nous, Peuple béninois,
- Réaffirmons notre opposition fondamentale à tout régime politique fondé sur l'arbitraire, la dictature, l'injustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel ;
- Affirmons solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l'Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque Béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle que spirituelle ;
-Réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l'Homme tels qu'ils ont été définis par la Charte des Nations-Unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948, à la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples adoptée en 1981 par l'Organisation de l'Unité africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne".
Plus loin, l'article 25 de la Constitution dispose : "L'Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d'aller et venir, la liberté d'association, de réunion, de cortège et de manifestation ".
Enfin, l'article 98 alinéa 1 précise que : " Sont du domaine de la loi, les règles concernant : la citoyenneté, les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ... ".
De plus, l'article 20 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme affirme: "Toute personne a droit à la liberté de réunion et d'association pacifique"…
C'est sur le fondement de tous ces instruments juridiques nationaux et internationaux et les institutions de contre-pouvoir dont votre haute juridiction en est une, que la démocratie née en 1990…s'est enracinée d'année en année grâce aux libertés reconquises de haute lutte par le peuple béninois… » ;
Considérant qu’il fait remarquer : « Il résulte d'une jurisprudence de la Cour constitutionnelle que les dispositions de l'article 25 de la Constitution sont inviolables… En effet, la décision DCC 95-033 du 1er septembre 1995 de la Cour constitutionnelle déclare contraire à la Constitution la violation de l'article 25 de la Constitution par le Misat, dans l'affaire Unseb contre Misat… La veille citoyenne observée depuis 1990, tant par les institutions de la République, l'Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle, notamment et l'ensemble du peuple béninois pour contraindre l'Exécutif au respect de notre Constitution, a permis l'alternance pacifique et l'organisation à bonne date des différentes élections dans le cadre du renouvellement des institutions de la République soumise à cette exigence et prévue par la Constitution … C'est grâce à ces alternances pacifiques dans le strict respect de notre loi fondamentale que le Gouvernement de Monsieur Patrice Talon a pu accéder au pouvoir par la force des urnes et sans effusion de sang… Le processus démocratique qui a ainsi fonctionné à merveille depuis 1990 en dépit de quelques difficultés inhérentes à toute jeune démocratie n'a pu l'être sans la jouissance paisible par les citoyens des libertés d'association, de manifestations, de cortège, etc. garanties par l'article 25 sus-cité…
Malheureusement…c'est avec beaucoup de surprise et d'indignation que l'ODHP a appris le 05 octobre 2016 de la bouche du ministre d'Etat, secrétaire général de la Présidence, Monsieur Pascal Irénée Koupaki, l'interdiction d'activités aux organisations faîtières, fédérations, unions et associations estudiantines opérant dans nos universités publiques… Une telle mesure viole notre Constitution en ce qu'elle est attentatoire aux libertés publiques, au droit d'association contenu dans la loi 1901 sur les associations à but non lucratif… Par ailleurs… cette décision nous ramène dans un passé douloureux incarné par le régime militaro dictatorial du Parti de la Révolution populaire du Bénin (PRPB) … vaincu par les luttes populaires ayant consacré son renversement le 11 décembre 1989, date de l'insurrection populaire au Bénin… En 1985, c'est sous le fallacieux prétexte d'actes de vandalisme et de pillage qu'aurait perpétrés un groupuscule d'étudiants dirigé par ceux qui, à l'époque, avaient été qualifiés d'anarcho-gauchistes et qui ont pour nom Allassane Issifou, Thérèse Waounwa, Dénis Sindete, Agbétou Osseni et Baparapé Aboubakar, que le…Général Mathieu Kérékou avait dissout le 27 avril 1985 la coopérative universitaire des étudiants… c'est au cours de ces mêmes luttes que le 06 mai 1985, le jeune Atchaka Parfait, alors élève au CEG Gbégamey, fut lâchement assassiné à la Bourse du travail… A sa suite, d'autres jeunes patriotes et révolutionnaires, tels que Luc Togbadja, Akpokpo Glèlè Rémy, Moussa Mamayar, ont sacrifié leur vie dans les camps de concentration PLM Aledjo, petit Palais, Camp Séro Kpéra, prison civile de Ségbana… d'autres plus chanceux qui ne sont pas passés de vie à trépas ont connu de longue détention et des tortures abominables au-delà de l'entendement humain dans les camps de torture du camp Séro Kpéra, PLM Alédjo, PCO, petit Palais et la prison de haute sécurité de Ségbana…d'autres encore ont connu l'exil forcé… Tous ces sacrifices consentis par le peuple ont facilité l'avènement de la démocratie au Bénin...
C'est avec beaucoup de stupéfaction que, trente-deux (32) ans après, le président Patrice Talon, qui a tant souffert des exactions du régime défunt et bénéficiaire des libertés démocratiques par son élection sans effusion de sang, interdit les activités militantes aux organisations et associations de nos principales universités… Ce faisant, il s'est attaqué à l'âme de la démocratie que sont les libertés d'association et de manifestation… » ; qu’il soutient : « La prise d'une telle mesure est une violation grossière, incompréhensible et inacceptable des dispositions pertinentes des articles 25 et 98 alinéa 1er de notre Constitution et un mépris ingrat des sacrifices du peuple… La Cour constitutionnelle, garante de ladite Constitution et institution de contre-pouvoir par excellence, doit déclarer la mesure ainsi querellée contraire à la Constitution, confirmant ainsi sa propre jurisprudence citée plus haut. » ; qu’il demande en conséquence à la haute juridiction « de décider que le décret du 05 octobre 2016 pris en Conseil des ministres et interdisant d'activités toutes les fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d'étudiants dans toutes les universités nationales du Bénin est contraire à la Constitution » ;
Instruction des recours
Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction diligentée par la haute juridiction, le Président de la République, Monsieur Patrice Talon, écrit : « …
A - Sur les faits :
1- A la suite d’enquêtes administratives sur la situation qui a prévalu sur les campus universitaires, le Conseil des ministres a pris deux décisions :
1) Toutes les fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d’étudiants sont interdites d’activités dans toutes les quatre universités nationales ;
2) les conditions d’exercice des activités et/ou de reconnaissance des associations d’étudiants sont définies par décret pris en Conseil des ministres. Les deux décisions ainsi prises ont fait l’objet d’un décret, celui n°2016-616 du 05 octobre 2016 portant interdiction d’activités des fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d’étudiants dans toutes les universités nationales du Bénin.
2- Les requérants ont saisi la Cour en vue de voir déclarer contraires à la Constitution ces deux décisions du Conseil des ministres.
B - La question soumise à la Cour :
Il est posé à la haute juridiction la question de savoir si le président de la République est constitutionnellement habilité, d'une part, à interdire d'activités les associations d'étudiants dans une université, d'autre part, à définir, par décret pris en Conseil des ministres, les conditions d'exercice des activités et de reconnaissance d'associations d'étudiants.
C - Les réponses :
1-L'inconstitutionnalité prétendue serait fondée sur les dispositions des articles 25 et 98 de la Constitution et 10.1 et 11 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples qui protègent tous deux la liberté d'association. Mais, il y a lieu de relever qu'à travers ce décret, il n'y a pas violation de la Constitution en ce que, d'une part, il n'est pas porté atteinte à l'existence des associations, d'autre part, il leur est plutôt fait une interdiction d'activités.
L'absence d'atteinte à l'existence d'associations d'étudiants :
2- L'article 25 de la Constitution dispose: " L'Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d'aller et de venir, la liberté d'association, de réunion, de cortège et de manifestation ". L'article 10.1 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, quant à lui, pose: "Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d'autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi". Or, le décret n° 2016-616 du 05 octobre 2016 ne porte atteinte à la liberté d'association ni dans leur constitution ni dans leur survie.
L'absence d'atteinte à la liberté d'association :
3- La liberté d'association emporte celle de constituer ou de ne pas constituer, d'adhérer ou de refuser d'adhérer à une association. Or, le décret querellé ne porte ni interdiction de constitution ou non, ni interdiction d'adhésion ou non à une association. Il ne porte qu'une ‘’interdiction d'activités’’ pour les raisons suivantes :
Les associations estudiantines constituent en leur sein des brigades civiles, des états-majors, des gardes de corps, des milices qui mettent en pratique des exercices de combat par des schémas d'organisations militaires au sein de l'Etat.
A plusieurs reprises, des arrêtés rectoraux ont procédé en vain à l'interdiction desdites activités. Il en est ainsi, par exemple, de l'arrêté n°104-2016/UAC/SG/CR/SP portant mesure de pérennisation de paix et de quiétude au sortir de crise sécuritaire à l'Université d'Abomey-Calavi ; de la décision rectorale n°070-16/UAC/SG/VR-AARU/SA portant sanctions disciplinaires infligées à des étudiants de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines de l'Université d'Abomey-Calavi ; de l'arrêté n°484-2016/UAC/SG/CR/SP portant invalidation de l'année académique 2015- 2016 à la Flash.
4-Au demeurant, l'article 11 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples précise: " Toute personne a le droit de se réunir librement avec d'autres. Ce droit s'exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d'autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes ".
En l'espèce, la sécurité nationale, la sûreté d'autrui, la morale et les droits des personnes justifient parfaitement ces mesures.
Il y a lieu de dire que le décret querellé n'est pas contraire à la Constitution » ;
Considérant que le secrétaire général du Gouvernement, Monsieur Edouard A. Ouin Ouro, écrit, quant à lui : « … A l'exception de la question de l'exclusion des 21 étudiants par le rectorat de l'Université d'Abomey-Calavi qui n'est pas une décision du Gouvernement, les …recours soulèvent le même problème, celui de l'inconstitutionnalité supposée de la décision du Conseil des ministres, d'une part, d'interdiction d'activités des Fédérations, Unions, Associations d'étudiants dans les universités nationales, d'autre part, de fixation par décret des conditions d'exercice et/ou de reconnaissance des associations d'étudiants.
Sur les deux moyens développés au soutien des…requêtes, il convient de répondre comme suit:
1- Sur le moyen tiré de la violation de l'article 25 de la Constitution :
Le premier moyen relatif à l'inconstitutionnalité alléguée de la décision d'interdiction d'activités des Fédérations, Unions, Associations d'étudiants dans les universités nationales, prise en Conseil des ministres du 05 octobre 2016, au motif qu'elle viole l'article 25 de la Constitution : cette allégation ne peut prospérer. En effet, le décret querellé ne dissout pas les associations et unions estudiantines des universités du Bénin, mais vise seulement l’interdiction temporaire et non définitive de leurs activités en raison des déviances auxquelles elles se livrent et qui ont des conséquences graves sur la sécurité des étudiants, des enseignants et des biens desdites universités, les dépossédant ainsi de leur vocation pacifique de lieux d'éducation, d'apprentissage, de recherches scientifiques et du savoir.
En militarisant certaines de leurs branches, en décrétant certaines zones de l'université interdites d'accès et en soumettant certains étudiants à des traitements inhumains et dégradants, ces associations portent gravement atteinte à l'ordre public. Ce faisant, ces associations ne respectent ni la loi ni les droits et libertés constitutionnels des étudiants. Or, l'article 10 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples qui fait partie du bloc de constitutionalité précise que " Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d'autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi". L'article 11 est encore plus édifiant. Il dispose que "Toute personne a le droit de se réunir librement avec d'autres. Ce droit s'exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d'autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes".
Face à ces dérives attentatoires aux droits de la majorité des étudiants et à l'ordre public, le Gouvernement n'avait d'autres choix que de prendre ses responsabilités en interdisant temporairement les activités de ces associations en vue de ramener la paix sur les campus. Cette interdiction d'activités des associations estudiantines dans les universités du Bénin par le décret pris en Conseil des ministres du 05 octobre 2016 étant temporaire et circonstancielle, ledit décret ne peut être considéré comme règlementant de manière générale les libertés d'aller et venir, la liberté d'association, de réunion, de cortège et de manifestation qui relèvent du domaine de la loi. Ce décret facilite au contraire la jouissance par l'ensemble des étudiants de leurs droits fondamentaux (droit à l'instruction, la liberté d'aller et venir sur l'ensemble des campus sans zone d'exclusion, la protection de leur intégrité physique et des infrastructures universitaires, etc.). Cette restriction temporaire et circonstancielle est donc conforme aussi bien à la Constitution qu'aux articles 10 et 11 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples. Par conséquent, le décret querellé ne viole nullement ni les articles 25 et 98 de la Constitution ni les articles 10 et 11 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples.» ; qu’il poursuit :
«2- Sur le second moyen tiré de l'inconstitutionnalité alléguée de la décision du Gouvernement de fixer par décret les conditions d'exercice des activités et/ou de reconnaissance des associations d'étudiants :
Il convient de rappeler qu'aucun décret n'est encore pris pour fixer les conditions d'exercice des activités et/ou de reconnaissance des associations d’étudiants, et donc, on ne saurait préjuger de son supposé caractère liberticide sans en connaître le contenu. Le but du futur décret n’est pas d’imposer un nombre limité d’associations dans les universités ni de permettre au Gouvernement de s’ingérer dans leur fonctionnement interne, mais simplement d’inciter celles-ci à mettre en place une faîtière, ce qui faciliterait le dialogue entre les représentants des étudiants et les autorités universitaires et gouvernementales.
Il s'agit de créer les conditions pacifiques de dialogue fructueux et permanent, susceptibles d'éviter les blocages intempestifs des activités académiques et, in fine, de permettre aux universités béninoises de relever les défis et les enjeux qui s'imposent à toutes les grandes universités modernes et performantes. Dans cette perspective, la décision du Conseil des ministres de fixer prochainement par décret les conditions d'exercice d'activités et de reconnaissance des associations d'étudiants n'est ni contraire aux articles 25 et 98 de la Constitution ni aux articles 10 et 11 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples. » ; qu’il conclut en demandant à la Cour « de dire et juger que le décret pris en Conseil des ministres le 05 octobre 2016 ne viole ni la Constitution ni les articles 10 et 11 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. » ;
Considérant qu’il transmet à la Cour une copie du relevé des décisions administratives du 06 octobre 2016, objet du Conseil des ministres du 05 octobre 2016, puis une copie du décret n°2016-616 du 05 octobre 2016 portant interdiction d’activités des fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d’étudiants dans les universités nationales du Bénin ;
Considérant que dans sa réponse à la mesure d’instruction de la Cour, le recteur de l’Université d’Abomey-Calavi, Monsieur Brice SINSIN, assisté de Maître Alphonse C. Adandédjan, écrit : «… A l'analyse, ledit recours manque de pertinence juridique ainsi qu'il sera démontré…
Depuis un certain temps, nos universités publiques et centres universitaires sous tutelle sont sérieusement secoués dans leurs activités réglementaires par des agissements récurrents des fédérations, unions et associations d'étudiants, se traduisant en des actes de violence et de vandalisme sans commune mesure avec leurs revendications sociales circonstancielles.
Ainsi, l’année académique 2015-2016 a été essentiellement marquée par une très vive polémique relative à la suppression ou non de la seconde session, laquelle polémique a ouvertement opposé les étudiants de la Faculté "Flash" aux autorités académiques à divers niveaux.
Nonobstant les avancées des négociations aux fins de sortie de la crise, les différents mouvements d'associations d'étudiants ont, de façon délibérée, fait la politique de la chaise vide pour prendre d'assaut tous les sites de l'Université d'Abomey-Calavi et pour perpétrer des actes graves, répétés de violence et de vandalisme, toute chose contraire à l'ordre public. Compte tenu de l'ampleur des nombreux dégâts enregistrés, les autorités universitaires se sont dépêchées de rendre compte à l'Etat central de la situation très critique et déplorable. Pour parer au pire, le Gouvernement a pris ses responsabilités et a décidé en Conseil des ministres tenu le 05 octobre 2016 des mesures, tout en enjoignant aux autorités compétentes de veiller à leur application.
En exécution des mesures gouvernementales, l'Université d'Abomey-Calavi a pris la décision excluant temporellement, pour une durée de cinq (05) ans, les étudiants auteurs de ces troubles assez graves.
C'est contre les différentes décisions du Gouvernement et de l'Université d'Abomey-Calavi intervenues pour rétablir l'ordre public troublé que Monsieur Kouassi Ahoudjèzo Ayato a formé un recours en inconstitutionnalité, recours qui appelle les observations de l'Université d'Abomey-Calavi (UAC) valant répliques…
A) Sur la prétendue violation des libertés publiques et des droits humains, reprochée à la décision du Conseil des ministres du 05 octobre 2016, en ce qui concerne la vie associative d'étudiants :
Au moyen de son recours du 06 octobre 2016, Monsieur Kouassi Ahoudjèzo Ayato reproche au décret d’interdiction d'activités des fédérations, unions, associations ou manifestations faîtières d'étudiants dans toutes les universités nationales du Bénin pris par le Gouvernement en Conseil des ministres du 05 octobre 2016 d'avoir été pris en forme d'acte règlementaire au lieu d'acte législatif et d'avoir violé, du coup, les droits humains et libertés publiques consacrés par les dispositions de l'article 25 de la Constitution. Ce moyen du requérant ne saurait prospérer.
L'article 25 de la Constitution a été visé, mal à propos, par le requérant pour reprocher au décret d'interdiction d'activités des mouvements d'étudiants d'avoir été pris dans le dispositif réglementaire au lieu de celui législatif, et ce, en méconnaissance délibérée de l'article 11 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples…qui stipule : " Toute personne a le droit de se réunir librement avec d'autres. Ce droit s'exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d'autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes".
La prise du décret d'interdiction d'activités des mouvements d'étudiants par le Gouvernement s'inscrit bien dans le champ des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d'autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes. Il en résulte que c'est à bon droit que le Gouvernement a pris un acte réglementaire en forme de décret d'interdiction d'activités des mouvements d'étudiants pour régler la situation de crise sociale qui prévaut dans l'Université d’Abomey-Calavi. En conséquence, le décret attaqué n'a pas violé la Constitution et ensemble la Charte africaine y incorporée, en ce qui concerne la vie associative des étudiants. Il échet de rejeter le moyen du requérant tiré de ce chef.
B) Sur la prétendue violation des droits humains reconnus par la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples qui fait partie intégrante de la Constitution tirée de ce que le décret définit les conditions d'exercice d'activités et/ou de reconnaissance des associations d'étudiants :
Le requérant Kouassi Ahoudjèzo Ayato reproche, par ailleurs, au même décret pris en Conseil des ministres du 05 octobre 2016 d'avoir défini les conditions d'exercice d'activités et/ ou de reconnaissance des associations d'étudiants, violant, de ce fait, la garantie constitutionnelle de la jouissance de la liberté d'association.
Ce moyen du requérant est, à l'analyse, inopérant voire fallacieux. En effet, usant de ses prérogatives constitutionnelles, le Gouvernement a, au vu de l'évolution de la sociologie comportementale des étudiants, revu les conditions d'exercice d'activités et autres reconnaissances des associations d'étudiants au moyen du décret attaqué. Le décret sujet au recours n'a pas violé la garantie constitutionnelle de la jouissance de la liberté d'association, comme le prétend le requérant.
Le décret incriminé est intervenu conformément aux articles 10 et 11 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples…qui énoncent respectivement : " Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d’autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi" ; "Toute personne a le droit de se réunir librement avec d'autres. Ce droit s'exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d'autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes".
Par application combinée de ces deux articles, il ne peut être reproché au décret définissant les conditions d'exercice d'activités et/ou de reconnaissance des associations d'étudiants puisqu'il continue à consacrer le droit de se réunir avec d'autres en milieu estudiantin avec des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements.
La Constitution, en son article 98 visé par le requérant comme fondement de son recours, n'a pas été du tout violée, puisque le Gouvernement a agi dans la légalité et dans l'intérêt supérieur de la sauvegarde de l'ordre public…C'est à tort que le requérant excipe de ce que le droit d'association relève de l'article 98 de la Constitution et serait violé selon lui. Il appert, dans ces conditions, de constater que le décret querellé est, à tous égards, conforme à la Constitution. En conséquence, il échet de rejeter purement et simplement le moyen du requérant tiré de ce chef. » ;
Considérant qu’il poursuit : « C) Sur la prétendue méconnaissance du droit reconnu à toute personne afin que sa cause soit entendue :
Au moyen de son recours en inconstitutionnalité, Monsieur Kouassi Ahoudjèzo Ayato a affirmé que la décision rectorale attaquée et portant exclusion de certains étudiants de l'Université d'Abomey-Calavi n'aurait pas satisfait aux exigences constitutionnelles et violerait, du coup, le droit à la défense prévu par l'article 7 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples.
Ce moyen du requérant ne peut prospérer, en ce que l'article 7 de la Charte précitée est servi, mal à propos, comme fondement du moyen allégué.
En effet, l'article 7 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples consacre, à l'analyse, le dispositif juridique de protection des droits de la défense des personnes en cause devant les juridictions de quelque nature que ce soit. Or, la décision d'exclusion attaquée par le requérant, s'intégrant dans le cadre du bon déroulement de la formation académique et de l'éthique exigée des apprenants, est devenue, à juste titre, une mesure disciplinaire à l'issue de la tenue régulière de l'instance disciplinaire du 05 juillet 2016 au cours de laquelle les étudiants mis en cause et reconnus coupables des faits graves de troubles sur le territoire de l'Université d'Abomey-Calavi ont été normalement mis en condition de présenter leurs moyens de défense.
Appréciant la régularité de la décision d'exclusion prise en forme de décret, la haute juridiction constatera aisément que le requérant n'a pas rapporté la preuve de ce que le droit légal reconnu aux étudiants fautifs d'être entendus par l'instance juridictionnelle disciplinaire serait méconnu.
Il s'ensuit, de toute évidence, que la décision rectorale n°07-16/UAC/SG/VR-AARU/SA attaquée portant sanctions disciplinaires infligées aux étudiants indélicats ne viole nullement l'article 7 susvisé de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples. Il échet en conséquence de rejeter purement et simplement ce moyen. » ; qu’il conclut : « Par ces motifs et tous autres à déduire ou à suppléer d'office s'il échet :
- constater que les différentes décisions arguées de griefs n'ont nullement porté atteinte aux droits humains et aux libertés publiques ;
- constater que les décisions attaquées par le requérant sont, à juste titre, conformes à la Constitution ;
- en conséquence, rejeter purement et simplement tous les moyens du requérant » ;
Considérant que dans un mémoire complémentaire, le recteur de l’Université d’Abomey-Calavi fait observer : «… I- De la production de la décision : … il sied … d’indiquer que la décision d'exclusion de certains étudiants de l'Université d'Abomey-Calavi est, à n'en point douter, une décision rectorale prise sur proposition du Conseil pédagogique de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines (FLASH) érigé en Conseil de discipline en sa séance du 05 juillet 2016. Il s'agit, en effet, de la décision rectorale n°070-16/UAC/SG/VR-AARU/SA du 26 juillet 2016 portant sanctions disciplinaires infligées à des étudiants de la FLASH et dont la copie est produite et annexée au présent mémoire additif.
II- Du respect des droits de la défense des étudiants mis en cause : dans le souci de bien mener les activités académiques au sein de la FLASH et de gérer au mieux les apprenants y inscrits, il est pris, depuis le 31 décembre 2010, l'arrêté rectoral n°080- 10/SG/VR-AAIP/SEQU portant règlement pédagogique de la FLASH encore en vigueur et dont la copie est jointe au présent mémoire. L'arrêté susvisé, en son article 10, organise assez bien le respect des droits de la défense des étudiants de la faculté concernés par les cas d'indiscipline au moyen de la présence de leurs représentants (deux étudiants de la faculté chargés de défendre les étudiants en faute) au sein du Conseil pédagogique de la faculté ‘’ Flash’’ érigé en Conseil de discipline.
Dans le cas d'espèce, pour la tenue effective de l'assise disciplinaire de la Flash du 05 juillet 2016 querellée, tous les membres participants y compris les représentants des étudiants ont été normalement conviés, eu égard à la situation très critique du moment : sa délibération est, à juste titre, l'œuvre de l'ensemble de ses membres dont l'un ne peut s'y soustraire sous quelque prétexte que ce soit.
Les droits de la défense des étudiants mis en cause n'ont donc pas été violés en ce que le Conseil pédagogique érigé en Conseil de discipline n'a jamais empêché les représentants des étudiants de prendre part à cette assise disciplinaire et de défendre leurs camarades.
Mieux, le Conseil de discipline a souverainement délibéré en veillant à l'intérêt supérieur de la communauté universitaire. Dans ces conditions, la protection juridique des droits de la défense des étudiants mis en cause tel que consacrée par l'article 7 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples a été bien observée par le Conseil pédagogique de la Flash érigé en Conseil de discipline » ; qu’il joint à sa correspondance, entre autres, une copie de la décision rectorale n°070-16/UAC/SG/VR-AARU/SA du 26 juillet 2016 portant sanctions disciplinaires infligées à des étudiants de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) ;
Considérant que suite à une mesure d’instruction complémentaire du 21 février 2017 lui demandant de « rapporter la preuve de la convocation délaissée aux représentants des étudiants devant prendre part à l’assise disciplinaire du Conseil pédagogique érigé en Conseil de discipline en transmettant au besoin une copie desdites invitations », le recteur de l’Université d’Abomey-Calavi, le professeur Brice Augustin Sinsin, écrit le 08 mars 2017 : « …Par courrier n° 797 et 831/UAC/FLASH/VD/SGE respectivement du 27 juin 2016 et du 04 juillet 2016, le Bureau d’Union d’Entité de la Flash (BUE/FLASH) avait été convoqué et relancé pour prendre part audit Conseil pédagogique érigé en Conseil de discipline, prévu pour le 05 juillet 2016.
Le courrier d’invitation n’a pu être remis par le coursier pour motif de fermeture du bureau du BUE. Par contre, il a été affiché à leur porte. Ce courrier a été finalement remis le 05 juillet 2016 avec d’autres courriers qui leur étaient destinés … » ;
Considérant qu’il annexe à cette correspondance la photocopie du courrier n° 797-2016/FLASH/UAC/D/VD/SGE du 27 juin 2016 portant en objet « Conseil pédagogique érigé en Conseil de discipline » invitant « Tous chefs et chefs adjoints de départements, SG Syndicats, Président BUE/FLASH » de l’Université d’Abomey-Calavi à « assister à la réunion du Conseil pédagogique qui sera érigé en Conseil de discipline le mardi 05 juillet 2016, de 09 h à 11 h à la salle des professeurs » ainsi que celle de la page du registre de transmission de courriers portant décharge, le 5 juillet, des courriers n°s 827, 830 et 797 par le BUE. » ;
Analyse des recours
Considérant que les cinq requêtes portent sur le même objet et tendent aux mêmes fins ; qu’il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule et même décision ;
Sur la violation de la Constitution par le Gouvernement
Considérant que selon les articles 25 et 98 alinéa 1 de la Constitution : « L’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation » ; « Sont du domaine de la loi les règles concernant : - la citoyenneté, les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; les sujétions imposées, dans l’intérêt de la défense nationale et la sécurité publique, aux citoyens en leur personne et en leurs biens » ; qu’aux termes de l’article 10 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples : « Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d’autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association sous réserve de l’obligation de solidarité prévue à l’article 29 » ; qu’il ressort de la lecture combinée et croisée de ces dispositions que la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation est constitutionnellement garantie et que si la loi peut en règlementer l’exercice, voire la limiter, en revanche, elle ne saurait en aucun cas la supprimer ou l’annihiler, fût-ce même temporairement ; que les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques sont du domaine de la loi ; que le pouvoir exécutif ou règlementaire ne peut donc s’immiscer dans ce domaine si ce n’est seulement pour préciser les modalités d’application de la loi; que par ailleurs, l’article 68 de la Constitution énonce : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées de manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et constitutionnels est menacé ou interrompu, le président de la République, après consultation du président de l’Assemblée nationale et du président de la Cour constitutionnelle, prend en Conseil des ministres les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances sans que les droits des citoyens garantis par la Constitution soient suspendus. » ; qu’il résulte de cette disposition que le souci légitime de préserver l’ordre public ne saurait justifier, même en période de crise, une suspension des droits des citoyens garantis par la Constitution ; qu’aucune mesure exceptionnelle ne peut donc porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens garantis par la Constitution et les instruments juridiques dont le Bénin est partie ;
Considérant qu’il ressort des éléments du dossier, notamment du relevé des décisions administratives du 06 octobre 2016, qu’à l’évocation de l’affaire n° 198/16, le projet de décret examiné par le Conseil des ministres avait été adopté avec comme recommandations « de changer le titre de la communication et le contenu du décret qui portera plutôt "interdiction d’activités des organisations estudiantines" et non "dissolution desdites organisations" » ; que nonobstant cette recommandation, le décret n°2016-616 du 05 octobre 2016 précise dans ses motivations que, d’une part, «…pour des raisons inhérentes à l’ordre public, il y a lieu de prononcer la dissolution des organisations estudiantines existant afin de réorganiser la vie associative universitaire…», d’autre part, «Toutes les fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d’étudiants sont interdites d’activités, dans toutes les universités nationales du Bénin» ; que la lecture croisée de ces énonciations révèle que l’interdiction d’activités prononcée par le décret s’analyse comme une suppression de la liberté d’association, de réunion et de manifestation des étudiants ; que l’article 2 du même décret conforte cette analyse lorsqu’il dispose que : « Les conditions d’exercice d’activités et/ou de reconnaissance de nouvelles associations sont définies par décret pris en Conseil des ministres» ; que cette disposition traduit aussi une volonté manifeste du Gouvernement de s’immiscer dans le domaine de la loi, en ce sens que le pouvoir de « reconnaissance de nouvelles associations » induit le pouvoir d’appréciation et donc la possibilité de s’opposer à la constitution d’une association ; que le souci légitime du Gouvernement de préserver l’ordre public ne l’autorise pas à méconnaître les libertés fondamentales des citoyens ; qu’il y a en conséquence lieu de dire et juger que la décision issue du Conseil des ministres du 05 octobre 2016 en ce qui concerne l’interdiction d’activités associatives et nouvelles conditions d’exercice d’activités, de reconnaissance d’associations estudiantines, et partant, le décret n° 2016-616 du 05 octobre 2016 portant interdictions d’activités des fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d’étudiants dans toutes les universités nationales du Bénin sont contraires à la Constitution et donc nuls et non avenus conformément à l’article 3 alinéa 3 de la Constitution qui précise que « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus… » ;
Sur la violation des droits de la défense des étudiants par le recteur de l’Université d’Abomey-Calavi
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 7.1.c de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : …le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix » ;
Considérant qu’il ressort des éléments du dossier que par le courrier n° 797-2016/FLASH/UAC/D/VD/SGE du 27 juin 2016 portant en objet « Conseil pédagogique érigé en Conseil de discipline », le président du Bureau d’Union d’Entité de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines (BUE/Flash), représentant les étudiants, a été invité, en même temps que tous les chefs et chefs adjoints de départements, les secrétaires généraux des syndicats de l’Université d’Abomey-Calavi, à « assister à la réunion du Conseil pédagogique qui sera érigé en Conseil de discipline le mardi 05 juillet 2016, de 09 h à 11 h à la salle des Professeurs » ; que ladite invitation n’ayant pu être remise en mains propres a été affichée à la porte des bureaux du BUE, puis remise le 05 juillet contre décharge ainsi que l’atteste la mention portée au registre de remise de courriers ; que dès lors, il ne saurait être fait grief à l’autorité rectorale de n’avoir pas mis les étudiants représentés par le BUE en mesure d’exercer leur droit à la défense ; qu’en conséquence, il échet pour la Cour de dire et juger qu’il n’y a pas violation de la Constitution ;
D é c i d e :
Article 1er. -. La décision du Conseil des ministres du 05 octobre 2016 et le décret n°2016-616 du 05 octobre 2016 portant interdictions d’activités des fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d’étudiants dans toutes les Universités nationales du Bénin sont contraires à la Constitution et donc nuls et non avenus.
Article 2.- La décision rectorale n°070-16/UAC/SG/VR-AARU/SA du 26 juillet 2016 portant sanctions disciplinaires infligées à des étudiants de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) ne viole pas la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera notifiée à Messieurs Thierry Dovonou, Kouassi Ahoudjèzo Ayato, Vignon Amédée Serge Weinsou, Armand Martial S. Ahoyo, Aboubakar Baparapé, à Monsieur le Recteur de l’Université d’Abomey-Calavi, à Monsieur le Secrétaire général du Gouvernement, à monsieur le président de la République et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le seize mars deux mille dix-sept,
Messieurs Théodore Holo: Président
Zimé Yérima Kora-Yarou: Vice-Président
Simplice C. Dato Membre
Bernard D. Degboé Membre
Madame Marcelline-C. Gbèha Afouda Membre
Monsieur Akibou Ibrahim G. Membre
Madame Lamatou Nassirou Membre
Le Rapporteur, Marcelline-C. Gbèha Afouda
Le président, Professeur
Théodore Holo.