Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont sortis vainqueurs du premier tour de l’élection présidentielle en France. Une victoire pleine d’enseignements et de leçons quand on sait que le jeune candidat, Emmanuel Macron, l’a emporté sur les deux grands mouvements en France. L’aspect criminel que représente la colonisation dénoncé par Macron, et son jeune âge, représentent pour l’ancien Président de la République, Nicéphore Dieudonné Soglo, les deux grands enseignements à tirer des résultats de ce premier tour. Au détour d’une interview, il explique la possibilité pour les dirigeants africains de se servir de cette victoire de Macron, pour mettre un terme aux Fronts de colonies françaises en Afrique et s’activer pour un véritable décollage de l’économie africaine.
L’Evénement Précis : La France est allée aux urnes. Onze candidats pour quarante-sept millions d’habitants et à l’arrivée, on a Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Pour vous qui connaissez bien la France, quels sont les enseignements de la victoire de ces deux têtes d’affiche ?
Nicéphore Dieudonné Soglo : C’est pour moi, un moment historique en France. Pour une raison très simple. Nous avions eu la même chose quand Jospin était candidat contre Chirac, c’est à dire le parti socialiste contre la droite. C’était le Front national de Le Pen qui est allé au second tour et c’est un coup de tonnerre qui a marqué la carrière politique de Jospin. Nous sommes maintenant en 2017 avec une nouvelle génération. Le parti de Le Pen se retrouve à nouveau au second tour. On pensait que Mélenchon allait venir, mais qui a-t-on vu ? On a vu un jeune homme totalement inconnu qui évidemment, à la surprise générale, a éliminé la droite, c’est-à-dire Fillon. Au départ, Le Pen avait éliminé le parti socialiste et on voit arriver ce jeune homme. Rien que pour ça, c’est un moment historique. Les deux grands partis qui dirigeaient la France depuis longtemps ont coulé sous nos yeux. Qui est Macron ? L’intérêt pour nous, colonisé, c’est qu’il a fait une déclaration capitale. C’est la première fois que quelqu’un déclare que la colonisation, comme l’esclavage, est un crime contre l’humanité. A l’époque, c’était un tollé. De Gaulle qui est un grand nationaliste, mais qui après la guerre, voulait garder les colonies sous sa coupe, a dominé avec sa troupe, refusant même la main tendue de Churchill pour sortir de la seconde guerre mondiale. Ce qui a déclaré la guerre d’Indochine jusqu’à ce que les armées ne battent l’armée française. Ça a été la même chose en Algérie, après que Pierre France a demandé de tendre la main aux colonisés pour mettre fin à la colonisation. Mais la France n’a pas changé. A l’époque, Mitterrand a permis à Houphouët Boigny, le plus riche de son pays, de sortir de l’indépendance. Les partis de droite et de gauche sont des partis colonialistes. Ce jeune homme, Macron, vient marquer une rupture. C’était le mot favori de Mitterrand. Ce jeune homme venu de nulle part a apporté une véritable révolution intellectuelle. Je ne sais pas s’il a lu cet ouvrage parce que la France de Vichy et Pétain a été colonisée par l’Allemagne pendant cinq ans. Les français avaient été traumatisés par les six semaines qui ont marqué leur défaite lors de la débâcle de mai-juin, de 1940, qui avait provoqué la fuite de l’homme du 18 juin en Angleterre. Personne ne pouvait imaginer que les armées allemandes pouvaient atteindre les Pyrénées en six semaines. Ce jeune homme vient dire aujourd’hui que les camps de concentrations avec près de 1.600.000 prisonniers français, et les camps de déportation, constituent un crime pas seulement en Europe mais également à l’extérieur.
Quel est l’enjeu de ce second tour pour les Africains, plus précisément les Béninois ?
C’est l’affaire de l’Europe. Nous ne sommes pas liés par des liens de colonisation ou de néocolonialisme. Avant de répondre à cette question, il faut vous faire constater que Macron a une double face. Il dit que la colonisation est un crime contre l’humanité au même titre que l’esclavage. Mais, il y a quelque chose qui est très important pour moi. Il a moins de 40 ans et je veux qu’on m’enlève de la constitution béninoise, cette aberration qui est la question de l’âge, adoptée par une équipe constituée de Monseigneur de Souza. Cela n’existe dans aucune constitution au monde. J’ai eu une discussion assez animée avec lui quand cela a été adopté puisque j’étais absent du territoire national. J’étais invité en Amérique par le président. On aurait dû me consulter. J’ai dit qu’ils auraient pu attendre mon retour, même s’ils étaient jaloux de leurs prérogatives. Macron a moins de 40 ans et il vient d’être en tête pour être président de la république française. A notre époque, c’était Nelson Mandela qui, à plus de 70 ans, était l’icône mondiale, l’homme qui a incarné l’Afrique. S’il n’était pas là, l’Afrique du sud ne serait pas là aujourd’hui. Si de Gaulle n’était pas là, on ne serait pas à cette étape. Cette histoire de limite d’âge est une manipulation indigne de nous. C’est pour ça que, pour moi, Macron a une double signification. La première est que la colonisation est un crime. La seconde, c’est qu’il a moins de 40 ans. Ce qu’on a mis dans la constitution est totalement indigne de notre pays.
Sa vision impactera -t-elle le développement de l’Afrique et celui du Bénin ?
C’est à nous de savoir ce que nous voulons. Ce qu’il propose, c’est pour la France. C’est ce que moi, je propose qui est important pour l’Afrique ; c’est que le prix de pétrole a baissé de façon dramatique et donc il faut dévaluer de 50% le naira. Car si l’Amérique tousse, le monde entier tient sa poitrine. Notre Amérique, c’est le Nigéria. Et comme l’a dit un français, Michael Löw, « la population de l’Afrique va augmenter de un milliard et demi. C’est une richesse qui, en même temps, est une poudrière. La poudre c’est la démographie, le détonateur, ce sont les emplois ». Il y a 46% des populations qui ont moins de 16 ans. Si on ne leur trouve pas de travail tout de suite, ils iront chez Boko Haram. C’est une question fondamentale pour nous. Personnellement, au lieu de nous casser la tête avec la dévaluation, nous devons avoir une monnaie unique dans l’espace Cedeao. Il est temps de mettre un terme au Front des colonies françaises d’Afrique. La première puissance du monde, c’est les Etats-Unis qui comptent 50 Etats. Nous en Afrique, nous ne sommes que 35. La Cedeao est un marché de 335 millions d’habitants qui doit avoir une monnaie unique et une armée fédérale pour défendre nos frontières. Les jeunes sont attirés par l’Eldorado européen qui est malheureusement en mauvais état avec les attentats, même à la veille des élections. C’est ce que nous voulons qui est important. Nous ne pouvons pas laisser nos enfants être attirés par un mirage, prendre la méditerranée comme leur tombeau. Si la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont leurs petits intérêts, ils oublient que leur marché naturel, ce sont les 335 millions de la Cedeao. A l’intérieur de la Cedeao, se trouvent l’Uemoa et autres. Nous devons balayer tout cela. Voilà ce que nous devons discuter avec Macron.
Entretien réalisé par Gérard Agognon