Les 7 Sages de la Cour constitutionnelle doivent rejeter à nouveau la loi sur le partenariat public-privé (Ppp). Cette loi regorge trop d’incohérences pour mériter d’être insérée dans l’ordonnancement juridique national.
La loi sur le partenariat public-privé actuellement sur la table de la Cour constitutionnelle pour contrôle de conformité à la Constitution doit être jetée à la poubelle. Les 7 Sages ont l’obligation de déclarer une fois encore cette loi anticonstitutionnelle. En réalité, c’est presque la même loi dont la non-conformité à la Constitution a été constatée par décision Dcc 17-039 du 23 février 2017, qui a été retournée aux membres de la Haute juridiction. Selon cette décision de la Cour, la loi en l’état ne peut être mise en application. Seulement, à en croire certaines indiscrétions, le Parlement a selon la pratique envoyé un nouveau texte à la Cour qui a pour rôle d’étudier ledit texte sur le fond. Et certaines sources informent que plusieurs dispositions de la loi, violent la Constitution du 11 décembre 1990. D’ailleurs, un consultant international en Ppp a pu bien démontrer dans une lettre ouverte (Lire ci-contre la lettre)que cette loi reste une menace pour l’économie béninoise. «La loi, par le processus de mise en œuvre des Ppp incomplet et peu exigeant prévu à l’article 12, est susceptible de favoriser, comme le démontre de nombreuses études internationales portant sur les retours d’expérience, l’impréparation des projets, l’inadéquation des projets aux besoins des autorités contractantes et des usagers, les surcoûts inévitables et la conclusion de contrats voués à l’échec se soldant par des résiliations coûteuses pour les autorités contractantes», a écrit Rémi Stanislas B. Danfongnon. Pour lui, le même constat s’impose quant au traitement des offres spontanées. «Il résulte en effet de l’article 13 que les études préalables des projets issus des offres spontanées seraient produites par les opérateurs économiques, sans qu’une contre-expertise soit à minima réalisée par les autorités contractantes. Cette situation est susceptible de favoriser, comme le démontrent les nombreuses études internationales sur les offres spontanées, le surenchérissement des projets, le plus souvent inadaptés aux besoins des autorités contractantes et aux usagers», a-t-il martelé. Et l’expert de poursuivre : «Les surcoûts générés par ces projets et les conséquences financières des résiliations sont de nature à aggraver la charge publique, en violation des dispositions de l’article 107 de la Constitution. En conséquence, il convient de constater l’inconstitutionnalité notamment des articles 12 [s’agissant du processus PPP] et 13 [s’agissant des offres spontanées] de la loi n° 2016-24. De plus, les nombreuses imprécisions et erreurs juridiques relevées dans la loi n° 2016-24 introduisent une insécurité juridique susceptible de générer des recours coûteux pour les autorités contractantes dont les conséquences financières sont de nature à aggraver la charge publique en violation des dispositions de l’article 107 de la Constitution». Le diagnostic est donc inquiétant. La loi sur le ppp est à rejeter.
M.M
Pourquoi la Cour Constitutionnelle doit rejeter pour inconstitutionnalité certains articles et dispositions de la loi sur le PPP
La Cour constitutionnelle, dans sa décision du 23 février 2017, a considéré que «le requérant a essentiellement fondé son recours sur des éventualités décrivant d’une recherche, quelque peu forcée, de référents étrangers, régionaux, internationaux et en d’autres matières dont le droit administratifsans évoquer des dispositions constitutionnelles en soutien au fond de ses prétentions. L’éventualité et les systèmes de droit étranger ne sauraient fonder le recours en inconstitutionnalité d’une loi interne».
En conséquence il est proposé de présenter plus explicitement les violations aux dispositions de l’article 107 de la Constitution et aux principes constitutionnels de la commande publique.
I Sur la violation de l’article 107 de la Constitution
A. Règle de droit
Aux termes de l’article 107 de la Constitution du Bénin, «Les propositions et amendements déposés par les députés ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique, à moins qu'ils ne soient accompagnés d'une proposition d'augmentation de recettes ou d'économies équivalentes».
B. Application à l’espèce
Le processus de mise en œuvre des partenariats public-privé (PPP) est en l’espèce caractérisé par une absence d’identification des différentes étapes liées à la planification des projets susceptibles d’être réalisés en PPP et une absence du contenu précis des études nécessaires à sa réalisation.
La loi, par le processus de mise en œuvre des PPP incomplet et peu exigeant prévu à l’article 12, est susceptible de favoriser, comme le démontre de nombreuses études internationales portant sur les retours d’expérience , l’impréparation des projets, l’inadéquation des projets aux besoins des autorités contractantes et des usagers, les surcoûts inévitables et la conclusion de contrats voués à l’échec se soldant par des résiliations coûteuses pour les autorités contractantes.
Le même constat s’impose en ce qui concerne le traitement des offres spontanées. Il résulte en effet de l’article 13 que les études préalables des projets issus des offres spontanées seraient produites par les opérateurs économiques, sans qu’une contre-expertise soit à minima réalisée par les autorités contractantes. Cette situation est susceptible de favoriser, comme le démontrent les nombreuses études internationales sur les offres spontanées, le surenchérissement des projets, le plus souvent inadaptés aux besoins des autorités contractantes et aux usagers.
Les surcoûts générés par ces projets et les conséquences financières des résiliations sont de nature à aggraver la charge publique, en violation des dispositions de l’article 107 de la Constitution. En conséquence, il convient de constater l’inconstitutionnalité notamment des articles 12 [s’agissant du processus PPP] et 13 [s’agissant des offres spontanées] de la loi n° 2016-24.
De plus, les nombreuses imprécisions et erreurs juridiques relevées dans la loi n° 2016-24 introduisent une insécurité juridique susceptible de générer des recours coûteux pour les autorités contractantes dont les conséquences financières sont de nature à aggraver la charge publique en violation des dispositions de l’article 107 de la Constitution.
II Sur la violation des principes constitutionnels de la commande publique, dont relèvent les PPP
A. Règle de droit
1. Le Conseil constitutionnel français, dans sa décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 relative à la loi habilitant le Gouvernement à édicter, par ordonnance, des dispositions sur les PPP, avait jugé que :
«10. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions d’une loi d’habilitation ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l’article 38 de la Constitution, de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle, ainsi que les normes internationales et européennes applicables; qu’en particulier, les dispositions relatives à la commande publique devront respecter les principes qui découlent des articles 6 et 14 de la Déclaration de 1789 et qui sont rappelés par l’article 1er du nouveau code des marchés publics, aux termes duquel : «Les marchés publics respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. - L’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics sont assurées par la définition préalable des besoins, le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence ainsi que par le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse»;
(…)
18. (…) que, toutefois, la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l’égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics; (…)»
Les principes constitutionnels de la commande publique sont les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ils ont pour objectif de garantir l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics et découlent donc des articles 6 et 14 de la DDHC :
«Art. 6. -
La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
(…)
Art. 14. -
Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
2. Un raisonnement par analogie permet d’ériger en principes constitutionnels les principes généraux de la commande publique du Bénin inscrits à l’article 4 du code des marchés publics :
«Les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures s’imposent aux autorités contractantes dans le cadre des procédures de passation des marchés publics et de délégations de service public et ce, quel qu’en soit le montant.(…)».
Ainsi, les principes mentionnés dans le code des marchés publics du Bénin sont les mêmes que les principes constitutionnels de la commande publique français. Ils poursuivent également le même objectif : l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics, comme l’indique la décision du Conseil constitutionnel français précitée.
L’article 17 de la loi PPP conforte ce raisonnement puisqu’elle inclut, en plus des principes déjà mentionnés dans le code des marchés, «l’économie [le bon usage des deniers publics] et l’efficacité[l’efficacité de la commande publique] du processus» :
«L’établissement et la conclusion des contrats de partenariat public‐privé sont soumis aux principes suivants :
• l’économie et l’efficacité du processus, la liberté d’accès, l’égalité de traitement, la reconnaissance mutuelle, la transparence des procédures;
• la procédure de passation des contrats de partenariat fait l’objet d’une publicité suffisante précisée à chaque étape de la procédure permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes.»
Au même titre que les principes de la commande publique français, qui découlent, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel français, de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, nous considérons que les principes communs au CMP du Bénin et à la loi PPP du Bénin ont une valeur constitutionnelle car ils découlent (i) de l’article 13 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui a une valeur constitutionnelle en vertu de l’article 7 de la Constitution du Bénin et (ii) de l’article 107 de la Constitution du Bénin.
B. Application à l’espèce
Les faiblesses du processus de mise en œuvre des PPP et des projets issus des offres spontanées telles que rappelées ci-dessus méconnaissent les principes constitutionnels de la commande publiques, et plus précisément les principesde l’économie et de l’efficacité du processus d’acquittions et du bon usage des deniers publics.
Plus précisément, les insuffisances dans la planification des projets mentionnées dans la première partie, notamment la bonne définition préalable des besoins, sont susceptibles de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles d’économie et d’efficacité du processus. C’est notamment ce qu’avait jugé le Conseil constitutionnel français dans la décision relative au texte PPP précitée : «L’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics sont assurées par la définition préalable des besoins».
Le non respect des principes constitutionnels de la commande publique sont de nature à aggraver la charge publique en violation des dispositions de l’article 107 de la Constitution et de l’article 13 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
III Sur la violation de la Directive 04/2005
A. Règle de droit
L’article 2 de la Directive 04/2005 dispose que «Les procédures de passation des marchés publics et des délégations de service public, quel qu’en soit le montant, sont soumises aux principes suivants :
- L’économie et l’efficacité du processus d’acquisition;
- Le libre accès à la commande publique;
- L’égalité de traitement des candidats, la reconnaissance mutuelle;
- La transparence des procédures, et ce à travers la rationalité, la modernité et la traçabilité des procédures. (…)»
B. Application à l’espèce
La Cour constitutionnelle du Bénin a déjà fait référence à des normes internationales pour apprécier la constitutionnalité d’une loi. C’est ce qui ressort de la décision DCC 10-049 du 05 avril 2010 (Contrôle de constitutionnalité de la loi d’abrogation de la loi sur la LEPI et le RENA) dans laquelle le juge constitutionnel fait référence au Protocole additionnel A/SP1/12/O1 du 21 décembre 2001 de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour considérer que le vote de la loi d’abrogation de la loi sur la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI) et le Recensement Electoral National Approfondi (RENA) viole les exigences dudit protocole en matière de transparence et de fiabilité de la liste électorale. Par cette technique de contrôle, il «subordonne…la constitutionnalité d’une loi à sa conventionalité» .
Dès lors, la loi peut être censurée sur le fondement du non respect des principes d’économie et d’efficacité du processus d’acquisition mentionnés à l’article 2 de la Directive 04/2005/UEMOA relative aux marchés publics et aux délégations de service public ainsi qu’au principe de bon usage des deniers publics qui en découle. En effet, la loi n° 2016-24 portant cadre juridique du partenariat public-privé (PPP), qui doit être conforme à la Directive , ne respecte pas les principes précités.
Rémi Stanislas B. DANFONGNON, consultant international en Partenariat Public-Privé