A quelques jours du second tour de la présidentielle en République de France où Marine Le Pen et Emmanuel Macron se disputeront l’ultime voix du peuple, la victoire du jeune candidat continue de susciter assez d’engouement dans le rang des intellectuels et de la classe politique béninoise. L’ancien Président de la République du Bénin, Nicéphore Dieudonné Soglo, considère la victoire d’Emmanuel Macron, comme une source d’enseignements pour les dirigeants africains, en général, et béninois, en particulier. La première leçon est l’aspect criminel de la colonisation que reconnait Emmanuel Macron, en tant que seul candidat, depuis les élections présidentielles en France. La seconde leçon à tirer de cette victoire est son jeune âge, 39 ans. Au détour d’une interview, l’ancien Président Nicéphore Dieudonné Soglo estime nécessaire pour la politique béninoise de se pencher sur l’article 44 de la Constitution du 11 décembre 1990, relatif au profil du candidat aux fonctions de Président de la République « je veux qu’on enlève au plus vite, de la constitution béninoise, cette aberration qu’est la question de l’âge. Cela n’existe dans aucune constitution au monde ». Il appelle aussi les dirigeants africains à mettre un terme définitif aux Fronts de colonies françaises sur le continent.
L’événement Précis : Pour vous qui connaissez bien la France, quels sont les enseignements de la victoire de ces deux têtes d’affiches ?
Nicéphore Dieudonné Soglo : En France, l’histoire se répète et en voici les principales séquences : 2002, Lionel JOSPIN était le candidat du Parti socialiste contre Jacques CHIRAC, le champion de la droite : le Parti gaulliste.
Et coup de tonnerre, c’était le Front national de Jean-Marie Le PEN qui se qualifiait pour le second tour. Et cela sonna le glas de la carrière politique de Lionel JOSPIN.
Nous voilà à présent en 2017 : l’extrême droite à fait peau neuve avec Marine Le PEN dont le discours a habilement gommé toutes les aspérités, toute la xénophobie et le racisme outranciers de son père soldat en Indochine et en Algérie contre les nationalistes et pour qui les fours crématoires ne sont qu’un détail de l’histoire ; et après la victoire de TRUMP et le soutien de POUTINE, le Front National caracolait en tête des sondages. Pendant ce temps, François HOLLANDE, le Président socialiste sortant, plombé par les promesses mirobolantes du candidat « le danger c’est la finance ! On fera payer les riches ! Et la baisse du chômage est notre boussole » avait depuis longtemps jeté l’éponge. Et voilà que l’un de ses jeunes collaborateurs, pétri d’audace et de talent, sort du bois. Que pouvait-il contre François FILLON, le fier donneur de leçon, champion de la droite catholique renvoyé bien vite à ses contradictions par les révélations du Canard Enchaîné, ou Jean-Luc MELANCHON le flamboyant porte drapeau de la « France insoumise », ou Benoît HAMON, le généreux représentant du Parti socialiste abandonné par ses troupes.
Et c’est ainsi que les deux grands partis qui dirigeaient la France, ont coulé sous nos yeux.
Qui est donc Monsieur MACRON ?
Pour les colonisés que nous sommes, c’est la première fois, à notre connaissance, qu’un candidat en Europe (continent comptable selon Aimé CESAIRE du ‘’plus haut tas de cadavres de l’histoire’’) déclare que la colonisation, tout comme l’esclavage, est un crime contre l’humanité. C’est une véritable catharsis. Mais quel tollé ou désapprobation muette de la part des tenants des deux grands partis.
De GAULLE est, en France, depuis la seconde guerre mondiale, un héros et l’incarnation de la Résistance. Il voue à sa patrie un amour passionné. Mais il lui est difficile d’admettre que les habitants des pays sous domination française puissent aimer, eux-aussi, leur pays d’un amour similaire au sien. Et il n’est pas le seul hélas.
En 1941, le Président américain Franklin D. ROOSEVELT, pour répondre à l’appel au secours du premier ministre anglais Winston CHURCHILL et mettre de son côté le peuple américain, proclama solennellement, dans l’article 3 de la fameuse Charte de Atlantique, « Le droit de tous les peuples de choisir la forme de gouvernement sous laquelle ils veulent vivre ». Il sonnait ainsi le glas, à la grande colère de CHURCHILL, de l’empire de la reine Victoria sur lequel le soleil ne se couchait jamais.
Et voilà que le 30 janvier 1944, De GAULLE, avec aplomb et sans rire déclarait que « Les fins de l’œuvre de civilisation accomplis par la France dans les colonies (sic) écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’Empire, la constitution même lointaine de self-government est à écarter » (voir Antoine GLASER, Stephen SMITH Comment la France a perdu l’Afrique, Ed. Calmann-Levy p. 38). Il oubliait comme par hasard qu’il avait dû fuir son pays, envahi et colonisé par les troupes d’Adolph HITLER, et se réfugier en Angleterre pour lancer son fameux appel du 18 juin. Les Français avaient été traumatisés par les six semaines qui ont consommé leur défaite lors de la débâcle de mai-juin 1940. Car personne n’avait imaginé que les armées allemandes pouvaient atteindre les Pyrénées en six semaines, broyant tout sur leur passage. La commotion en fut d’autant plus grande, note le grand historien américain Robert O. PAXTON. La guerre-éclair avait permis à l’armée allemande de capturer un million six cents mille prisonniers de guerre français avant que ne débute le service du travail obligatoire (STO), l’autre nom de l’esclavage, et la déportation des juifs et des résistants vers les sinistres camps de concentration. Le gouvernement de Vichy dut payer vingt millions de marks par jour au titre des frais d’occupation, c’est-à-dire, quatre cent millions de francs au taux de change exorbitant de 21%. Le Reich fit main basse sur les ressources françaises et prit des mesures pour exploiter l’Alsace-Lorraine et encourager le séparatisme breton et flamand.
Or il est évident que « de la colonisation à la civilisation la distance est infinie » comme nous l’enseigne Aimé CESAIRE, le père de la négritude.
Et ceux qui font l’apologie du colonialisme et vitupèrent Adolph HITLER le font donc, selon le grand écrivain, par manque de logique ; et qu’au fond ce qu’ils ne pardonnent pas à HITLER, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi ; c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici, que les arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique.
Quel est l’enjeu de ce second tour pour les Africains, plus précisément pour les Béninois ?
C’est l’affaire de la France et de l’Europe. Mais parlons d’abord de la seconde singularité de MACRON : il a moins de quarante ans. Et je veux qu’on enlève au plus vite, de la constitution béninoise, cette aberration qu’est la question de l’âge. Cela n’existe dans aucune constitution au monde. Cette décision a été prise en mon absence du territoire national. J’étais en Amérique, l’hôte du Président BUSH père. On aurait dû logiquement m’attendre et me consulter. MACRON, pour en revenir à lui, a donc moins de quarante ans et mène la course en tête pour être Président de la République française. A notre époque, c’était Nelson MANDELA, une icône mondiale qui, à plus de 70 ans, a éloigné de l’Afrique du Sud, le cauchemar qu’a connu l’Algérie avec l’OAS. Il avait été libéré un mois avant notre Conférence Nationale ; et j’ai eu l’insigne honneur de conduire la délégation de l’OUA qui a assisté à son élection dans une ambiance extraordinaire. De GAULLE n’a-t-il pas joué un rôle similaire à plus de 70 ans en France au moment où son pays traversait en 1958 une très grave crise ? L’histoire de la limitation d’âge est donc une scorie indigne de la Conférence Nationale, indigne de notre pays. Les anciens Présidents, je l’ai dit dans mon discours d’investiture, y ont joué un rôle majeur. Leur participation active à cette conférence a incontestablement contribué à son succès. Ils lui ont apporté la caution morale dont elle avait le plus grand besoin et qui a manqué aux autres pays. Leur présence au sein du Haut Conseil de la République (HCR) était une garantie supplémentaire du bon déroulement et du processus de démocratisation de nos futures institutions.
Mais pour en revenir une dernière fois à MACRON, l’enjeu pour les Africains et les Béninois que nous sommes, c’est la rupture définitive avec le colonialisme et la françafrique.
Sa vision impactera-t-elle le développement de l’Afrique et du Bénin ?
C’est à nous à savoir ce que nous voulons et où nous allons. La France est l’un de nos partenaires privilégiés. Or, il ne faut pas se le cacher, l’Afrique au sud du Sahara, comme le note Serge MICHAILOF, est un véritable baril de poudre. La poudre s’appelle démographie et le détonateur se nomme emploi. L’équation est simple : en 2050, l’Afrique au sud du Sahara, aura une fois et demie la population de la Chine. C’est une richesse et en même temps un défi. Les jeunes en âge de travailler y seront trois fois plus nombreux : 46% de la population aura moins de 16 ans. Comment les nourrir, les loger ? Où seront les emplois ? Les jeunes, pour le moment, sont attirés par l’Eldorado européen, qui malheureusement est en piteux état avec des attentats à répétition, même à la veille des élections. La Méditerranée est un tombeau et les pays du nord du continent traitent les Noirs comme au temps de la traite négrière. C’est insupportable. Le chômage massif des jeunes à demi scolarisés constitue, pour MICHAILOF, bien avant l’endoctrinement djihadiste (Boko Haram et autres) la première explication de l’effondrement dramatique de pays tels que l’Afghanistan, la Syrie, le Yémen, l’Irak, auxquels s’ajoutent la Somalie et les pays du Sahel. Or l’Afrique fabrique actuellement en abondance des demi scolarisés, des scolarisés, des diplômés de l’enseignement supérieur. Mais avec une industrie en panne et une agriculture délaissée où seront les emplois ? Et nous devons faire face, en Afrique de l’Ouest, à la dévaluation de la monnaie du plus grand marché du continent, le Nigéria et aux conséquences néfastes du réchauffement climatique avec une baisse de la pluviométrie. Ma conviction profonde, c’est qu’il nous faut revendiquer et mettre en œuvre rapidement deux souverainetés vitales : la souveraineté monétaire et la souveraineté militaire. Dans notre village planétaire, on ne peut s’affirmer que si l’on atteint une masse critique. La première puissance du monde, les Etats-Unis d’Amérique compte cinquante états et dispose d’une monnaie unique le dollar. La CEDEAO est un marché d’au moins 300 millions d’habitants, qui doit avoir une monnaie unique et une armée fédérale capable de défendre ses frontières. C’est à présent aux Etats, aux peuples et à leurs différentes composantes de se mettre résolument au travail en tenant compte de l’expérience des autres.
Je vous remercie.
Propos recueillis par Gérard AGOGNON