Le Gouvernement béninois, dans sa démarche de faire face aux problèmes liés à l’emploi en général, et notamment celui des jeunes en particulier, s’est engagé dans la mise en œuvre de réformes structurelles.
L’une de ces réformes, qu’est la DEREGLEMENTATION du marché du travail, des biens et services, mérite une réflexion sur ce qu’elle est, les principes de sa mise en œuvre, son opportunité dans le marché du travail béninois.
Aux origines de la dérèglementation :
L’économie mondiale a été marquée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par une montée de l’intervention de l’État qui s’est traduite par une prépondérance de la règlementation du marché du travail, des biens et services. Les acteurs de la vie économique et sociale se voient donc imposer par l’exécutif un ensemble de règles, souvent à caractères juridiques (code de travail, lois sur l’embauche, code d’investissement, mise en place du salaire minimum, non flexibilité des salaires à base…), dans le but d’assurer un bon fonctionnement de l’économie. Ce faisant, l’état avait pour objectif de garantir la protection des plus vulnérables dans un contexte où les lois du libre marché commençaient à prendre toute la place.
À la fin des années 1970, les économistes libéraux ont remis en cause cet interventionnisme règlementaire de l’État, revendiquant un mouvement de dérèglementation. Selon eux, il y a un excès de règlementation qui crée des rigidités dans l’économie et empêchent le marché de fonctionner de manière optimale. Les libéraux soutiennent que l’excès d’interventionnisme de la part de l’État a émoussé les initiatives privées, étouffé la liberté d’entreprendre et entravé le dynamisme de l’économie. À l’origine de cette théorie de la dérèglementation, se trouve le principe de la « main invisible » d’Adam Smith qui soutient que le marché peut s’autoréguler sans intervention extérieure, du fait de la convergence et de l’interdépendance des intérêts individuels.
Au-delà de la suppression de règles, les partisans de la dérèglementation prônent également le déplacement des centres de production de l’État vers les autres acteurs de la société ainsi que le remplacement de règles législatives par des relations contractuelles librement engagés entre les agents économiques. En d’autres termes, l’élaboration des règles devant régir la vie économique deviendrait sectorielle sous la conduite des acteurs sociaux et les relations contractuelles seraient privilégiées au détriment des lois mises en place par l’État.
Effets spécifiques :
A l’épreuve des faits, les effets théoriques de la protection de l’emploi sur le chômage notamment sur les dynamiques du marché du travail, demeurent encore imprécis. L’expérience française par exemple n’a pas été convaincante en la matière. En effet, à la suite du gouvernement Raymond Barre et sa politique de rigueur en 1982, la dérèglementation a été mise en pratique par les gouvernements successifs et a rendu le marché du travail plus flexible sans pour autant baisser le chiffre du chômage qui atteint les 10% actuellement.
À contrario, le Royaume-Uni, les USA et le Danemark sont perçus comme des exemples de réussite de la dérèglementation. Ces pays ont en commun une règlementation de l’emploi extrêmement faible. Il y est facile de licencier, les salaires minimums y sont faibles et les régimes d’indemnisation chômage assez sommaires. Résultats : des taux de chômage aux alentours de 5%.
Il est donc légitime de se demander si la dérèglementation proposée par les libéraux est une réponse efficace pour lutter contre les rigidités du marché du travail et le chômage de masse.
Si l’argumentation libérale et les exemples de réussite semblent accréditer la dérèglementation comme une réponse possible à la lutte contre le chômage, il convient de garder une certaine distance par rapport à la vision idéalisée qu’ont les économistes libéraux de la flexibilité. D’une part, les effets positifs de la dérèglementation ne viennent pas sans contraintes pour les agents économiques que nous sommes. D’autre part, ces effets positifs sont souvent surestimés.
En effet, les réformes liées à la dérèglementation visent à lutter contre le chômage structurel, ce qui nécessite un temps relativement long avant de porter des fruits. Ainsi, même si elles sont susceptibles de stimuler la production et la création d’emplois à long terme, il n’en demeure pas moins qu’elles sont économiquement couteuses à court terme. Ces réformes doivent donc être accompagnées d’un assouplissement des politiques conjoncturelles pour soutenir la demande globale pendant leur mise en œuvre.
Aussi, ne faut-il pas perdre de vue l’hétérogénéité des caractéristiques institutionnelles des pays ayant connu une baisse du chômage suite à la dérèglementation. Contrairement à ce que pensent les libéraux, les institutions ne sont pas exogènes au comportement des agents. Les modèles de fonctionnement des institutions ne sont pas homogènes, ni universels : ils sont compatibles aux us et coutumes de chaque pays. Il faut donc se méfier des transpositions pures et simples des modèles économiques de pays étrangers, ignorant la dissemblance des modèles de fonctionnement des institutions.
Ceci implique une étude approfondie du timing et des moyens de mise en œuvre de ces réformes. Il importe donc d’identifier la période la plus adaptée ainsi que les politiques d’accompagnement.
Quand et Comment ?
Plus précisément, est-il opportun de mettre en œuvre des réformes structurelles en période de crise économique ? Et quelles politiques d’accompagnement dans une telle période ?
Il est bien connu que les réformes économiques sont plus douloureuses en période de conjoncture défavorable. En effet, elles amplifient les répercussions de la crise sur l’activité et l’emploi. Ainsi, faciliter les licenciements à un instant de faible offre, n’incite guère les entreprises à protéger les travailleurs ou à embaucher davantage. Car l’accroissement de la flexibilité du marché du travail pourrait exercer une pression baissière sur les salaires, ce qui induirait une réduction de la demande globale et un appauvrissement des débouchées des entreprises. Il en résulterait donc, à terme, encore plus de licenciements.
De plus, une dérégulation du marché du travail et des biens en période de crise économique sans une relance monétaire adéquate alimenterait les anticipations d’une déflation prolongée, ce qui ferait monter le taux d’intérêt réel et accentuer la déprime de la demande agrégée. Un tel cercle vicieux ne peut être évité que par une certaine forme d’intervention de l’État.
Le Cas du Bénin
Le Bénin, à l’instar des pays membres de l’UEMOA, est soumis à une politique monétaire commune. Dans un tel contexte ; une dérégulation des marchés du travail et des produits ne stimule pas la croissance à court terme et peut même conduire à une contraction de l’activité (Gauti Eggertsson et all. (2013)).
Et pour preuve, la fréquence des conjonctures défavorables qui a démontré qu’une crise économique est susceptible d’avoir des effets permanents sur la production et l’emploi, en particulier lorsqu’elle est synchrone avec une crise financière.
De ce qui précède, nous déduisons que la mise en œuvre d’une dérèglementation du marché de travail peut ne pas être opportune en période de crise économique. Il faut à côté des réformes structurelles, des interventions conjoncturelles dans le sens de relancer l’économie. Ceci est encore plus vrai dans un pays où l’instrument budgétaire est l’outil principal de pilotage économique qui est à la disposition de l’exécutif.
Quelle politique de l’emploi pour le Bénin ? Critiques et propositions
À l’instar des pays en développement, le problème numéro un du Bénin n’est pas le chômage de masse, mais le sous-emploi chronique de son capital humain. De plus, le niveau de salaire n’est aucunement un frein à l’emploi au Bénin. Les raisons du sous-emploi chronique au Bénin sont principalement de deux ordres :
• L’inadéquation de la formation au marché du travail : nous formons peu pour les secteurs pourvoyeurs de l’emploi. En effet, nos offres de formations sont majoritairement pour le secteur tertiaire moderne. Or, la majorité de possibilités d’emploi se trouve dans les secteurs primaire et tertiaire informels, peu modernes ;
• Les difficultés de transition d’une économie traditionnelle à une économie moderne avec pour corollaire l’alimentation soutenu du secteur informel.
L’analyse empirique de l’évolution mondiale montre que le progrès économique des nations passe par une transformation de la structure de leur économie. Cette évolution se traduit par une réduction de la part du secteur primaire dans le Produit Intérieur Brut (ce qui ne veut pas dire une diminution de la production dans ce secteur). Par conséquent, tout pays aspirant à rentrer dans ce processus doit pouvoir disposer d’une main-d’œuvre en adéquation avec le processus de mutation.
C’est en accélérant le rythme de transfert des ressources humaines entre les différents secteurs que le pays pourra transformer la structure de son économie et accélérer son rythme de croissance. La réussite de ce chantier passe par la formation d’une nouvelle génération d’entrepreneurs, d’une main d’œuvre de grande compétence, de qualité et de niveau d’éducation supérieur capable d’être internationalement compétitif. Malheureusement, jusqu’à présent, il n’existe au sein des universités, des établissements de formation et de l’institut national de statistiques aucun système permettant de suivre la situation professionnelle des diplômés ni leur insertion sur le marché du travail afin de réajuster les offres de formations.
La multiplication des offres de formations ces dernières années, aussi bien dans les écoles que dans les facultés classiques, apporte un début de solution, mais elle reste liée au flair des initiateurs plutôt qu’à une analyse approfondie des besoins présents et futurs de l’économie. Ceci s’explique sans doute par la limite du système d’informations statistiques national dans ce domaine. En effet, nous disposons peu (ou pas du tout) de données régulières, récentes et suffisamment désagrégées sur l’emploi.
Il est donc difficile actuellement d’appréhender la dynamique du marché du travail ainsi que le profil de l’emploi au Bénin. Ceci limite ainsi la capacité d’adaptation de l’offre de l’éducation aux besoins présents et futurs de l’économie et par conséquent l’efficacité de nos politiques de développement.
Compte tenu du contexte béninois, nous proposons ce qui suit :
- Actualiser la base de recensement des entreprises béninoises ;
- Instaurer une enquête emploi à intervalle de temps régulier ;
- Renforcer les capacités des microentreprises en gestion de base notamment celle du secteur informel ;
- Inciter le regroupement en coopérative notamment dans l’agriculture et l’artisanat à travers une politique incitative incluant le renforcement de capacité, le financement et la protection sociale ;
- Faire un état des lieux du capital humain par secteurs ;
- Initier une étude sur le profil de l’emploi ;
- Mettre en place, à court terme, un plan de renforcement de capacités des acteurs basé sur l’état des lieux ;
- Mettre en place un programme de formation à moyen et long terme arrimé au profil de l’emploi et au plan d’investissement du PAG. Les offres de formations professionnelles de ce programme pourraient être élaborées en collaboration avec les acteurs du secteur privé (exemple du Maroc et de la Tunisie) ;
- Mettre en place des zones de production intégrées.
En conclusion :
Pour régler le problème de l’emploi au Bénin, nous proposons de privilégier des mesures de relance de l’emploi et de déréglementation du marché des biens et service qui ne précarisent pas les travailleurs. Une telle politique relancera la demande et donnera de meilleurs résultats sur l’emploi comparativement à la déréglementation du marché du travail. De plus, elle ne précarise pas les couches sociales les plus défavorisées et sera donc acceptée facilement par les citoyens. En clair, il n’est pas opportun de déréglementer le marché du travail à l’heure actuelle.
Dr. Cyriaque EDON
FASEG-UAC
Enseignant-Chercheur