Faible couverture en infrastructures, manque d’entretien des réseaux de drainage entraînant ou aggravant des inondations récurrentes, insuffisance ou mauvais état des voies et rues, gestion inefficace des déchets entraînant l’insalubrité, mauvais état des installations marchandes en état de désuétude… Le diagnostic de la situation dans les communes présente un tableau sombre qui appelle à des actions urgentes. Ainsi, pour relever ce défi de développement durable des communes, le gouvernement s’est fixé comme objectif dans son Programme d’Actions 2016-2021, de favoriser une transformation structurelle de l’économie tout en renforçant la protection sociale et en améliorant les conditions de vie des populations. C’est dans ce cadre que le gouvernement a initié un Partenariat entre l’Etat central et les collectivités locales afin de rationaliser et de mettre en cohérence les programmes aux niveaux national et local. Le vendredi 05 mai dernier, les conseils communaux et municipaux des Communes du grand Nokoué à savoir Ouidah, Abomey-Calavi, Cotonou, Sèmè-Podji et Porto-Novo étaient à la présidence de la République pour prendre connaissance des projets majeurs du gouvernement dans le cadre de ce partenariat. Au total, un programme d’investissement de 343 milliards francs Cfa avec 620 kilomètres de rues urbaines dont 380 dans le Grand Nokoué, sera réalisé. La finalisation des études est déjà lancée et les travaux démarreront courant 1er trimestre 2018. Cependant, d’aucuns estiment que ce partenariat viole le principe de l’autonomie et de la libre administration des communes. Toutefois, selon l’expert en décentralisation et en communication Franck Kinninvo, il n’en est pas ainsi. Il explique que les collectivités territoriales sont toujours librement administrées par des conseils élus, mais décident d’exercer leurs compétences dans le cadre d’un partenariat avec l’Etat. Ce qui n’est en rien contraire aux textes de la décentralisation.
Que pensez-vous de la convention cadre sur le partenariat Etat-Communes ?
Je voudrais d’abord faire remarquer que c’est la première fois, depuis 2003 que nous sommes dans un processus de décentralisation, que l’Etat mobilise autant de ressources à mettre à la disposition des collectivités territoriales. Ce à quoi nous avions assisté depuis 2003, est que les ministères se lèvent et réalisent des infrastructures dans les communes au mépris des dispositions de la loi et de la Constitution par rapport à la libre administration des collectivités locales. Aujourd’hui, le gouvernement initie une méthodologie qui me parait différente et pertinente. C’est une bonne chose. Le gouvernement a pensé, dans un partenariat avec les communes, intervenir dans le développement local parce que justement, la pauvreté n’est pas dans les ministères, mais se trouve dans les communes. Décider d’intervenir sur ces questions sensibles est vraiment une bonne chose.
Le reste sera une question de négociation dans le respect justement de la libre administration des collectivités locales et du principe sacro-saint de la subsidiarité.
Est-ce que cette convention est conforme aux textes qui régissent la décentralisation au Bénin ?
Il y a, comme je le disais tantôt un principe sacro-saint de la décentralisation qui est fort heureusement au Bénin, un principe à valeur constitutionnelle. Il s’agit de la libre administration des collectivités territoriales par des conseils élus. Dans le cas d’espèce, l’Etat a fait une proposition aux cinq communes concernées. Il revient à chaque conseil communal ou municipal et à chaque maire, de délibérer et de négocier le contenu. C’est-à-dire, en adhérant à ce contrat, les collectivités territoriales sont toujours librement administrées par des conseils élus, mais décident d’exercer leurs compétences dans le cadre d’un partenariat avec l’Etat. Ce qui n’est en rien contraire aux principes de l’autonomie et de la libre administration des communes, quand bien même les matières qui sont prises en compte dans le cadre de ce partenariat relèvent de la compétence propre des communes. Dès lors que chaque administration locale va se prononcer et adhérer à cette convention, il n’y a plus violation de la libre administration des collectivités territoriales. Donc, ceux qui disent que c’est une violation des textes de la décentralisation n’ont pas tout à fait raison. Nous sommes dans un jeu de confiance et de crédibilité où l’Etat estime qu’à cause de l’ampleur des investissements, il est nécessaire qu’il ait un droit de regard au-delà de la tutelle que le préfet peut exercer au nom du gouvernement central. Si les collectivités territoriales l’acceptent, ce n’est plus en violation des textes de la décentralisation.
Est-ce qu’on ne court pas à ce niveau, le risque d’une centralisation ?
Non. Tout dépend du contenu de cette convention. C’est pour cela que les collectivités territoriales doivent négocier âprement le contenu. Ce qui est déterminant à ce niveau, c’est la maîtrise d’ouvrage. La maîtrise d’ouvrage doit revenir aux collectivités territoriales. L’offre du gouvernement est une opportunité aux collectivités locales pour peu que les maires et les conseils communaux puissent négocier avec l’Etat central. L’Etat a donné les orientations stratégiques. L’Etat pense global, il pense Nation. Mais dans la planification du développement local, les collectivités territoriales planifient et agissent local. Il faut donc une entente entre la planification des collectivités territoriales et les orientations stratégiques de développement national au niveau du gouvernement. C’est cette négociation qui va déterminer si cette proposition du gouvernement peut renvoyer à une centralisation. Lorsqu’une commune ne sera pas d’accord, cela pourrait compliquer le processus.
Qu’est ce qui peut expliquer la préférence du gouvernement à confier ce projet au ministère du cadre de vie au détriment du ministère en charge de la décentralisation ?
Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une préférence d’un ministère par rapport à un autre. Je pense que le gouvernement recherche la cohérence et l’efficacité. Le ministère du cadre de vie s’occupe du développement durable. Qui parle de développement durable parle de la ville, des collectivités territoriales. J’ai l’impression, je ne suis pas le Président de la République, que le gouvernement veut cantonner le ministère de la décentralisation dans la gestion administrative des collectivités territoriales. C’est le ministère du cadre de vie qui gère la Délégation à l’Aménagement du Territoire (Dat). Donc toutes les infrastructures et investissements qui seront réalisés entrent également dans le cadre de l’aménagement du territoire.
Saluez-vous donc cette initiative du Président de la République ?
Si j’étais à la place du Président de la République, j’aurais renforcé les compétences des communes, j’aurais renforcé les communes en ressources humaines et en management du développement et j’aurais mis les ressources financières à leur disposition. Mais je ne suis pas Patrice Talon. Cependant, son choix n’est pas contraire à la constitution et aux lois de la décentralisation. Car les gouvernements précédents allaient directement réaliser eux-mêmes des infrastructures dans les collectivités territoriales. Aujourd’hui, le gouvernement souhaite qu’il y ait un cadre de partenariat pour que l’Etat ait un droit de regard. Tout est question de la capacité des collectivités territoriales à négocier le contenu de cette convention cadre qui n’est pas encore signée. Ils sont en discussion. Il faut renforcer les collectivités territoriales dans leur mission même si, pour une première fois, l’Etat les accompagne pour voir si leur capacité managériale est à la hauteur. J’invite le gouvernement à aller plus loin dans ce processus parce que l’idéal pour moi, aurait été de mettre en place des Etablissements Publics de Coopération intercommunale (Epci). On peut créer la communauté des communes du Grand Nokoué par exemple. En faisant cela, le gouvernement entrerait dans une vision beaucoup plus durable et pertinente. Car il y a des infrastructures qu’une commune à elle seule ne peut gérer. Les domaines d’actions retenus sont des compétences qu’on peut transférer dans le cadre de l’intercommunalité.
Comment se fera la collaboration entre le maire de Cotonou et le Président de la République quand on sait que la relation entre les deux n’est pas au beau fixe ?
Si les rôles et les responsabilités sont bien définis, on peut mettre deux adversaires ou opposants qui incarnent des institutions. Il ne s’agit pas ici de la personne de Patrice Talon ou de Léhady Soglo. Il s’agit du maire de Cotonou et du Président de la République. Dans la mise en œuvre de ce partenariat, ce n’est pas le chef de l’Etat qu’on verra, mais le préfet et le ministre du Cadre de Vie. Il ne devrait pas avoir de problèmes. J’ai entendu le maire de Cotonou dire qu’il ne souhaite pas avoir de problème avec le gouvernement. Je l’invite à travailler à l’apaisement. On peut avoir des relations apaisées entre institutions sans s’apprécier mutuellement.
Quel est donc l’avantage de cette convention cadre pour les Communes ?
Il y a deux choses dont les communes pourraient bénéficier. Premièrement, les ressources qu’elles n’auraient pu mobiliser d’elles-mêmes. Deuxièmement, c’est l’expertise au niveau de l’Etat. Normalement, la décentralisation devrait impliquer une décentralisation des ressources humaines au niveau de l’Etat. Aujourd’hui, il y a pléthore de fonctionnaires au niveau de l’Etat. Dans le cadre de ce partenariat, l’Etat peut mettre à la disposition de ces communes, la ressource humaine afin de favoriser un développement harmonieux des 77 communes.
Quel appel avez-vous à lancer à l’endroit des autorités communales d’une part, et à l’endroit du gouvernement d’autre part ?
Je voudrais que le gouvernement soit souple dans les discussions et les négociations et garde l’intérêt général à l’esprit. Qu’il utilise cette occasion pour renforcer les collectivités territoriales dans la gestion et le management du développement en les faisant travailler aux côtés des cadres de l’Etat de sorte qu’il y ait transfert de compétences là où il n’y en avait pas, qu’il y ait mutualisation des efforts et des ressources. Et que dans le cadre de ce processus, que le gouvernement puisse envisager l’intercommunalité. Un projet d’intercommunalité entre les communes du Grand Nokoué comme il en existe entre les communes 2KP, serait une approche plus efficace et plus durable. L’idée du gouvernement serait mieux valorisée dans le cadre d’un Établissement Public de Coopération Intercommunale. Je vous assure de tout le potentiel qui résulterait de la coopération entre les 5 communes. Je voudrais inviter les maires et les conseillers communaux à saisir cette occasion et à en faire une opportunité de développement ; à sortir le grand jeu pendant ces négociations afin de démontrer que les collectivités territoriales sont capables d’exercer les compétences et de gérer les ressources que l’Etat pourrait mettre à leur disposition. C’est une occasion pour eux de valoriser le potentiel local.
Interview réalisée par Abdias BIO SIKA