Les pays de l’Afrique de l’Ouest se sont lancés dans un nouveau cycle d’élaboration des plans d’investissement agricole, de sécurité alimentaire et nutritionnelle (Pniasan). Dr Bio Goura Soulé, expert de la Cedeao sur les questions agricoles, coordonnateur du Programme de libre circulation des produits agricoles en Afrique de l’Ouest (Profab) décrypte la mise en œuvre de la politique agricole de la région et les défis de la deuxième génération de Pniasan.
La Nation : Quelle lecture faites-vous de la mise en œuvre de la première génération du Pniasan en Afrique de l’Ouest ?
Dr Bio Goura Soulé : Comme vous le savez, la région depuis 2005 s’est dotée d’une politique agricole qui est l’expression de sa volonté d’avoir une affirmation de ses choix publics dans le secteur agricole considéré comme le moteur de l’économie au niveau régional. Après 10 ans de mise en œuvre, une évaluation a été faite à Dakar en novembre 2015. De cette évaluation, il ressort deux éléments importants. Du point de vue de l’efficacité externe, tous les secteurs agricoles, à l’exception de l’élevage ont connu des progrès. Des progrès en termes d’augmentation de la production, et parfois dans certaines filières d’amélioration de la productivité, notamment le riz. C’est le résultat des incitations qui ont été mises en place par les Etats. On peut aussi dire que les échanges commerciaux régionaux ont augmenté même si aujourd’hui on ne s’est pas donné les moyens pour les quantifier. On sait que les échanges de bétail sont estimés à plus de 2 millions de têtes au niveau régional. Les céréales font plus de 2,5 millions de tonnes, dominés par le maïs et le riz. Nous avons aussi les échanges de produits qui résultent des chaines de valeurs nouvelles qui ont été promues au cours des dix dernières années. Cela a contribué relativement à renforcer la résilience des populations et a diminué le taux de prévalence de la pauvreté dans un certain nombre de pays. Globalement, la région s’est affirmée au plan de la sécurité alimentaire et on peut considérer que les crises alimentaires telles qu’elles se manifestent au cours des années 70 et 80 sont aujourd’hui derrière nous. Il y a encore des poches de malnutrition qui ne sont pas bien endiguées, mais n’empêche que la situation alimentaire globale de la région s’est beaucoup améliorée.
Qu’en est-il alors de l’efficacité interne ?
Du point de vue de l’efficacité interne, on a eu beaucoup de problèmes sur le fonctionnement des institutions. On a misé sur un certain nombre d’institutions qui devaient être les moteurs du développement agricole. L’Agence régionale pour l’agriculture et l’alimentation (Araa) basée à Lomé a été créée mais n’a pas eu les moyens qu’il fallait. Elle a été créée depuis la conférence de Yamoussoukro en 2006. Elle n’a été opérationnelle qu’en 2013 mais s’est quand même bien structurée. Du point de vue du pilotage, la Cedeao a aussi pris en main une responsabilité dans la définition des orientations des politiques. On peut le considérer comme un acquis important même si ce qu’on attend n’est pas arrivé. Ce qu’on attend, c’est surtout le financement. Là, on a deux problèmes importants. Tous les pays ont pris l’engagement de consacrer 10% de leur budget à l’investissement agricole. Au bout du compte, on a réellement cinq pays qui arrivent à dégager 10%. Mais tous les pays ont fait des efforts. En volume, les montants consacrés à l’agriculture ont nettement augmenté. C’est un acquis important même s’il faut s’interroger sur la qualité de ces investissements. Mais là où le bât blesse, c’est la contribution qui devait venir de la région, contribution qui devait être matérialisée par la création d’un Fonds régional de développement de l’agriculture et de l’alimentation. Ce fonds a été théoriquement créé mais la région n’a jamais pu mobiliser de l’argent pour l’abonder. Et on avance comme cause de cette faiblesse, les crises sécuritaires qu’on a au Mali, en Guinée Bissau. Cela fait qu’aujourd’hui la plus grande partie du budget de la Cedeao, qui résulte des prélèvements communautaires de solidarité est, complètement utilisée pour maintenir la sécurité, notamment payer les contingents dans ces pays. C’est un bilan en demi-teinte.
Tirant leçon de ces faiblesses, la nouvelle orientation de la politique agricole est d’abord alignée sur la déclaration de Maputo de juillet 2014 qui veut qu’on ait une croissance inclusive qui puisse être partagée par tout le monde.
Les acteurs agricoles ont-ils réellement tiré profit de cette politique ?
Pour montrer qu’ils ont tiré profit, il faut regarder deux paramètres importants. Primo, est-ce qu’ils ont développé leurs capacités de résilience ? La réponse aujourd’hui est oui parce que les crises alimentaires ne sont plus récurrentes que ce qu’on connaissait. Cela veut dire que les acteurs ont développé un ensemble de stratégies qui leur permettent d’être plus résilients. Le second indicateur, c’est la pauvreté qui a reculé dans bon nombre de pays. Si ces deux indicateurs sont en progrès, cela veut dire que les gens ont tiré parti des politiques agricoles. C’est vrai si vous interrogez les paysans, ils diront qu’ils n’ont jamais vu la politique agricole, qu’ils ne savent pas de quoi cela retourne. Mais cette liaison très forte des priorités nationales sur les priorités régionales montre qu’aujourd’hui si on explique bien aux acteurs, ils comprendront qu’il y a une bonne lignée des politiques qui touchent du haut à la base les exploitations familiales.
Qu’est-ce que la deuxième génération des Pniasan apporte de plus ?
La deuxième génération des Pniasan apporte une meilleure structuration en prenant en compte les quatre facteurs importants pour accélérer la croissance. Le premier, on est toujours les derniers du point de la productivité et de la production agricole. On a encore des gaps importants à combler en matière d’amélioration de la productivité. Le premier axe de la politique dit, on met le focus sur l’amélioration de la productivité tout en préservant l’environnement. C’est une vision très agronomique. Le deuxième dit, aujourd’hui ce qui est important n’est pas ce qu’on produit mais ce que le marché demande. Ce que le marché demande de plus en plus, c’est des produits transformés et normés. Donc, on consacre le deuxième pilier de la politique à la production de chaines de valeurs et à un environnement favorable au commerce régional. Le troisième dit qu’on a des paramètres qui recoupent le secteur agricole, ce sont les questions de nutrition, d’assurance, de changements climatiques. Quelles stratégies met-on en place pour que les populations soient résilientes ? Le dernier pilier, que ce soit au niveau régional, des exploitations, des organisations, on a des problèmes de gouvernance. Lorsque je parle agriculture, je pense que je suis le seul agriculteur alors que le consommateur doit être concerné, le préfet qui gère la région aussi. Il faut donc une intersectorialité et une interterritorialité de la politique agricole. Quand on parle de nutrition que le ministère de la santé soit là, le ministère des affaires sociales, les assurances, l’environnement, qu’on puisse avoir un cadre de concertation performant pour avoir une bonne politique agricole. Ces quatre piliers sont inamovibles et doivent être traités de façon approfondie.
Qu’est-ce qui peut fonder votre optimisme dans la mise en œuvre de la nouvelle politique ?
L’optimisme, c’est d’abord que les gens ont internalisé les enjeux. Aujourd’hui, tout le monde a internalisé les enjeux. Même le producteur n’est plus ce qu’on pensait de lui. Il sait aujourd’hui que si le marché ne fonctionne pas, même si on vient lui dire de continuer à produire, cela ne marchera pas. Le politique sait que si cela ne marche pas, il peut être interpellé à tout moment, il n’est plus en vase clos. Ce niveau de prise de conscience va entrainer d’autres cycles de mouvements, le financement, la gouvernance et une bonne mise en œuvre des politiques?