Le projet de loi du Gouvernement de Patrice TALON portant révision de la Constitution du 11 Décembre 1990, envoyé au Parlement le 15 Mars dernier pour suite à lui donner (conformément aux dispositions constitutionnelles en vigueur), a donné lieu à de très vifs débats, à d’échanges de points de vues intenses et même à de polémiques acerbes, dans toute la population béninoise, entre experts juristes et politologues, personnalités gouvernementales et parlementaires, politiciens, membres de la société civile et simples citoyens. On a entendu les uns et les autres exprimer des opinions et des réactions très variées, voire divergentes ou contradictoires, venant même d’éminents sachant dont certains se sont littéralement livrés à du juridisme, voire du paralogisme, de sorte que le Béninois lambda s’est trouvé plus embrouillé qu’éclairé, et l’observateur objectif, perplexe, de se demander : Quelle chance donc pour ce projet du Gouvernement TALON ? La réponse, nous la connaissons maintenant : Le Parlement en session extraordinaire a rejeté le projet le mardi 4 Avril, faute de majorité des trois quarts pour sa prise en considération, une minorité de blocage l’ayant emporté, comme le dispose l’article 154 de la Constitution.
Ce fut un vrai imbroglio, tant politico-juridique qu’intellectuel et social, dont l’issue a été ce rejet que certains imputent aux manigances politiciennes notamment.
Mais selon moi, la raison principale que j’y vois, est que le projet présenté, péchait beaucoup par cette foultitude de points de révision qu’il comportait, dont plusieurs très importants, sujets à de grands débats. Et quelle que fusse la force ou la faiblesse des arguments des uns et des autres (en attaque comme en défense) sur toutes ces modifications d’articles, introductions d’innovations ou suppressions de dispositions, il me paraît très difficile, voire impossible qu’un consensus fusse obtenu sur le projet, comme le prescrit la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle. C’est dire que l’échec du projet est essentiellement imputable à la kyrielle de points de révision, dont plusieurs sont très discutables. Un dicton populaire ne dit-il pas qu’ « on ne peut pas avaler plusieurs grosses bouchées à la fois » ?
Somme toute, il aurait fallu faire un premier projet léger, avec des points d’amendements ne donnant pas lieu à de grands débats ou presque pas lorsqu’il s’agit surtout de points purement techniques , comme : – Création d’une Cour des comptes en lieu et place de la Chambre des coptes, – Délai de 15 jours à compter de la date de proclamation des résultats du 1er tour de scrutin pour l’élection présidentielle, – Imprescriptibilité des crimes économiques, – Inscription de l’abolition de la peine de mort dans la Constitution, – Institutionnalisation de la CENA, etc. Un tel premier projet passerait sûrement plus facilement sans besoin même d’aller jusqu’à l’étape de référendum. Ensuite, interviendront d’autres projets de révision pour les points importants, vraiment politiques, de préférence un seul point (ou peut-être deux ou trois au plus) dans chaque projet.
Bien entendu, la question de la révision de la Constitution étant hautement politique, l’on ne pouvait nullement écarter que son traitement soit marqué par toutes sortes de tractations politiques : règlements de comptes, corruption par de grosses sommes d’argent, trahisons, manigances, calculs et jeux politiques, etc. C’est le contraire qui aurait été surprenant, surtout si on est en présence d’une kyrielle de points de révision d’importance politique. Et j’affirme que le rôle qu’a pu jouer la politique (au sens de politique politicienne) dans l’échec du projet aurait été très limité, voire inexistant, si la méthodologie et la démarche suggérées ci-haut avaient prévalu : Ne pas mettre ensemble des points d’aspect technique avec des points d’aspect hautement politique !
Au temps de Boni YAYI déjà, les projets de révision envisagés étaient conçus de la même manière : beaucoup de points de révision variés. Et cela m’amène à penser à un fait usuel de vie social qui est le suivant : « Vous allez au marché pour acheter des tomates et vous ne trouvez, sur les étalages, que des tomates mises en tas dans de petits paniers, les bonnes et belles bien en vue, les moins bonnes cachées sous les premières. C’est à prendre ou à laisser, sous peine d’essuyer la furie de la bonne dame vendeuse, si vous vous avisez de changer quoi que ce soit aux tas ainsi disposés. C’est dire que, soit, vous n’achetez rien (vous rejetez la proposition qui est devant vous), soit, vous achetez bon gré mal gré, et vous aurez été proprement bluffé par la vendeuse qui, elle, aura su vendre sa marchandise comme elle le voulait, selon sa stratégie de gain ! » Lesdits projets de révision étaient comme ces paniers de tomates, et l’acheteur n’avait le choix que de les rejeter.
Egalement déjà, en 2005/2006 sous Mathieu KEREKOU, puis en 2008 et 2015 sous Boni YAYI, la révision de la Constitution était entreprise à l’approche d’élection présidentielle de fin de 2ème mandat et de ce fait, avait connu d’échec parce que l’on soupçonnait, à tort ou à raison, que c’était pour ouvrir la voie à un 3ème mandat au Président ! Des points positifs d’amendement déjà apparus nécessaires en ces temps-là, étaient alors sacrifiés. Avait surtout triomphé le fameux slogan « Ne touche pas à ma Constitution », sous la férule de la sémillante « jolie petite dame » (disait-on à l’époque), Réckya MADOUGOU, aujourd’hui grandissime dame !
Mais aujourd’hui en Mars/Avril 2017, le soupçon d’un 3ème mandat ne peut plus exister. Cependant, il n’a pas manqué de gens pour parler cette fois-ci de projet non opportun, du fait du malaise social généralisé que vit le pays, et dont ils voudraient que le gouvernement s’occupe d’abord. A ne s’en tenir qu’à ça, la révision de la Constitution n’interviendra presque jamais! Bien d’autres arguments d’opposition au projet et de réactions négatives ont été agités, cependant que la raison principale des échecs que les projets successifs de révision de la Constitution ont connus, relève, à mon analyse profonde, de la démarche, de la méthodologie et de la pédagogie utilisées : on a pêché en présentant des projets de révision comportant tout une foule de points, d’importance variée et réunis dans un seul et même projet. Car on n’a pas eu la bonne compréhension du mot « Révision ». Il est compris «relecture, toilettage de A à Z » de l’ensemble du texte, n’intervenant qu’après une période conséquente de son existence. Et l’on entend dire : Notre Constitution n’a que 15, 20 ou 25 ans d’existence, pour sa révision, rien ne presse! Alors que « révision de la Constitution » devrait se comprendre : « amendement, modification en certaines dispositions ou en introduire de nouvelles, cela, dès que s’avère la nécessité ». C’est dire que réviser la Constitution doit signifier en corriger les lacunes et dysfonctionnements au fur à mesure de leur constat, de manière à avoir un texte toujours approprié, tant dans sa forme que dans son fond. Et c’est cela qu’on observe généralement presque partout dans le monde ! aux Etats-Unis (où, la Constitution datant de Mai 1789 a reçu plus de 30 amendements à l’heure actuelle, les 10 premiers étant intervenus déjà en 1791) ; en France (où la Constitution de la 5ème République de 1958 a été amendée déjà plusieurs fois, par vote au Congrès ou par référendum, et que récemment un projet de disposition à inscrire dans la Constitution (« déchéance de nationalité pour fait de terrorisme ») a été rapidement tranché dès que la question est apparue) ; dans bien d’autres pays d’Europe, d’Asie, d’Amérique Latine ou d’Afrique comme: Italie, Islande, Turquie, Ukraine, Venezuela, Sénégal, Nigéria, Mauritanie, etc., avec des succès divers, récents ou non. La même observation peut être faite, mais à un degré d’importance moindre, s’agissant de Statuts d’associations (loi 1901) où généralement, en dispositions finales, figure un chapitre intitulé « Modifications des Statuts », et non pas « Révision des Statuts» pour que cela soit toujours compris amendements ou modifications en certaines dispositions et non pas relecture complète qui est rarement envisagée !
S’agissant de notre préoccupation de révision de la Constitution, elle est apparue en 2005 sous KEREKOU, où des besoins d’amendements se sont avérés nécessaires, mais ont été mis au frigo et accumulés jusqu’à maintenant. D’où le grand nombre actuel de points de révision qui auraient dû être réglés en leur temps. Aussi, suis-je amené à penser qu’on devrait procéder, en tout premier lieu, par amender l’article 154 (Titre XI de la Constitution intitulé Révision), en 2ième alinéa, par la précision suivante: « Il faut entendre par révision, le fait d’amender ou de modifier une ou plusieurs dispositions ou d’introduire de nouvelles, dès nécessité apparue». Il pourra se faire par simple loi d’amendement constitutionnel dont le vote au Parlement ne devrait nullement poser de problème.
Cela étant, la précision dans un projet de révision qu’il « ne vise, ni à instaurer une nouvelle République, ni à faire entrer en vigueur une nouvelle Constitution » serait superfétatoire. Mais dans le projet TALON, cette précision a été jugée nécessaire certainement du fait des nombreuses modifications importantes qui y sont. Et elle a été justifiée par des pourcentages d’articles modifiés (26,8%) et d’articles créés (9,2%), soit au total 36% des 160 articles de la Constitution. Vraiment simpliste, je trouve! Car, si j’étais un sachant (diplômé en la matière) collaborateur ou proche, voire soutien inconditionnel du Président TALON, j’aurais suggéré d’approfondir finement la question en usant d’un barème de pondération appropriée qui affecte des points à chaque article en fonction de son degré d’importance. Ainsi par exemple, l’article 42 nouveau portant institution de mandat unique pour le Président de la République (objet de tant de polémiques), aura des points bien plus élevés que ceux affectés à l’article 127 nouveau disposant que « le Président de la République est garant de l’indépendance de la Justice ; il est assisté du Conseil Supérieur de la Magistrature » (ne donnant lieu à aucun débat). De même, bien d’autres articles comme ceux relatifs au rééquilibrage des pouvoirs, à la réforme du système partisan, à la suppression du CES, etc. auront des points de pondération élevée. De sorte qu’au total, l’ensemble des articles modifiés et créés se trouverait affecté d’une valeur de pondération (pas loin de 75 points sur 100, sûrement) qui signifierait que la Constitution a été fortement modifiée, ce que n’a pas induit le simple pourcentage arithmétique (36%) d’articles modifiés et créés. Et là, il faudrait encore savoir la ligne de partage entre une Constitution simplement révisée (au sens d’amendement) et une nouvelle Constitution !
Par ailleurs, il ne serait pas incongru de s’interroger sur le mal qu’il y aurait à ce que le Bénin se dote à l’heure actuelle d’une nouvelle Constitution, nécessairement meilleure que celle de 1990. Certes, c’est suite à une situation de crise majeure (grands bouleversements sociopolitiques, guerre civile, etc.) qu’intervient généralement dans un pays une nouvelle Constitution. Mais alors, y est-on condamné ou est-ce une fatalité ? Ne peut-on pas, en toute responsabilité et en toute conscience, aller sereinement à une nouvelle Constitution dès lors qu’un diagnostic profond révèle qu’il y a tant de choses à corriger ou revoir dans une gouvernance par des réformes hardies ? Auquel cas, il faudra le faire méthodiquement en commençant par l’organisation d’assises nationales. Bien de Béninois et d’organisations politiques ne les ont-ils pas déjà réclamées vers la fin du régime YAYI ? Lesquelles assises conduiront à une Assemblée Constituante ! Quel Béninois, s’il n’est pas aveuglé par pur fétichisme à l’égard de notre Constitution du 11 Décembre 1990, n’admettrait pas que celle-ci a déjà fait son temps et devra laisser place à une nouvelle? Etant donné qu’une nouvelle Constitution est toujours un ensemble cohérent de dispositions, un attelage juridique judicieusement agencé en fonction des réalités du moment, afin que les différents pouvoirs et organes qui y sont définis assurent et garantissent une bonne conduite des affaires de l’Etat. Elle est généralement soumise directement au référendum du peuple. A ce propos, je dis que toute cette polémique qui s’était installée quand le Président TALON a envoyé son projet devant l’Assemblée nationale n’aurait pas eu lieu. De toutes les façon, s’il avait été directement soumis au référendum, j’affirme qu’il aurait connu le même échec, du simple fait que bien d’électeurs, face à tant de points de révision, vont voter NON à cause seulement d’un ou deux points non acceptés, tels que le mandat unique pour les uns, la suppression du CES pour d’autres, etc. Et bien dommage pour les autres points acceptés ainsi sacrifiés ! En effet, son vote aurait été OUI si ces derniers étaient seuls dans le projet. Un tel cas de dilemme désarmant me fait penser à une histoire de OUI ou NON (que j’ai lue il y a quelque temps), qui se passe dans un tribunal, et que voici :
Le juge, Président du tribunal, s’adressant à l’accusé :
– Répondez oui ou non, si tous les faits qui vous sont reprochés se sont passés ainsi, oui ou non?
L’accusé, perplexe et tout hésitant, tête baissée :
– Votre honneur, Monsieur le juge, permettez-moi, sauf votre respect, de vous poser à mon tour une question dont votre réponse me mettra en devoir de déférer à votre injonction: Est-ce que, votre honneur, quand vous êtes souvent saoul, vous frappez votre femme, oui ou non ?
Le juge, furieux, se contenant cependant, lance sans autre forme de procès :
– Garde, emmenez l’accusé, la séance est reportée !
Comme quoi, il n’est pas très aisé de répondre simplement par OUI ou NON à une question à plusieurs composantes lorsque celles-ci sont toutes emballées dans une seule et même phrase. C’est plutôt par OUI, MAIS ou par NON, MAIS qu’on peut s’en sortir, n’est-ce pas ?
Au total, en considération de tout ce qui précède, (exposé, développé et illustré), qu’est-ce qu’il faut maintenant faire de cette question de révision de la Constitution au Bénin, suite à l’échec du projet TALON ? En réponse, voici ma proposition, essentiellement axée sur la démarche :
8.1. Il faut que soit élaboré avant fin 2017, soit, un nouveau projet de loi (par le Gouvernement, débarrassé de toute susceptibilité) soit, une proposition de loi (à initier par un Député ou un groupe de Députés dont je déclare pouvoir me mettre à la disposition, si c’est souhaité). Ce sera le tout premier projet de révision de notre Constitution, qui devra porter uniquement sur les points à caractère purement technique (donc non susceptibles de débats politiques), à commencer par l’amendement de l’Article 154 comme suggéré ci-haut au paragraphe 5. Je reste persuadé qu’un tel projet, devant le Parlement à l’heure actuelle, recueillera facilement les 3/4 de voix pour sa recevabilité, et ensuite les 4/5 pour son vote, sans besoin donc d’aller au référendum. Ainsi, ce sera déjà un premier acquit, cette année!
8.2. Après que cette première révision aura été acquise (dans le dernier trimestre de 2017 si possible), le Gouvernement TALON pourra poursuivre le train de réformes institutionnelles par décrets, touchant même, en première étape sous sa seule responsabilité, certains points à débats contenus dans le projet rejeté, en attendant que tous ces points, l’un après l’autre si possible, fassent objet de projets de révision dans la période 2018-2021. Je répète que ce devra être des projets ne portant que sur un ou deux points, auquel cas le débat, nourri ou pas, sera concentré et pas dispersé, et aura le temps d’être mené avant d’être tranché par vote référendaire ou Parlementaire. La question du mandat unique devra figurer en tête de liste.
8.3. C’était là ma proposition au principal. Au subsidiaire, je ne vois pas d’inconvénient à ce que nous aillions directement à un projet de nouvelle Constitution tel que je l’ai exposé ci-haut au paragraphe 7, lequel projet prendra nécessairement plus de temps, mais devra se dérouler avant la fin du mandat du Président TALON. Si cela advenait, le Bénin étonnera le monde encore une fois !
En épilogue, je termine mes propos en précisant que tout ce que je viens d’exprimer, je le place modestement sous le contrôle de tous les éminents juristes et politologues, en sollicitant toute leur indulgence au cas où ils estimeraient que j’ai marché sur leurs plates-bandes en quelque sorte ou que j’ai fait quelques glissades ! C’est certes du fait que jusqu’à présent, je n’ai ni entendu ni lu d’eux ou de qui que ce soit (sauf ma vigilance en défaut) des points de vue dans le sens de mes présentes réflexions. Acceptez que je n’aie pas volontairement fait part ici de mes points de vue sur les grandes questions du projet rejeté, mais sûrement, je le ferai quand elles reviendront en débats.
Ph. H. / Cotonou, 13 Mai 2017
Philippe HOUNKPATIN, Dr.-Ing. en Génie électrique,
Ancien Prof d’Université (Math, Physique et Génie électrique)
Ancien Directeur des Etudes et Projets à la CEB (Lomé, 1973-1982)
Ancien DG/ESIE (Ecole Sup. Interafricaine d’Electricité, Abidjan 1982-1985)
Ancien DG/SBEE (Electricité et Eau, Cotonou 1990-1995)
« SAPIENS NIHIL AFFIRMAT QUOD NON PROBET » :
« LE SAGE N’AFFIRME RIEN QU’IL NE PROUVE »
[Pensée latine, Rome antique]