La formation des enseignants constitue le socle de tout système éducatif. Au Bénin, s’il est vrai que la formation continue des enseignants et une réalité, il n’en demeure pas moins que les nouvelles technologies de l’information et de la communication en grand essor dans le monde n’y sont pas associées.
Les pays performants dans les évaluations internationales, tout comme les pays qui ont reformé en profondeur leur système d’éducation ces dernières années, ont tous mis la formation des enseignants au cœur de leurs préoccupations. Et dans ce contexte où les nouveaux programmes d’enseignement placent l’apprenant au cœur de sa propre formation et où la révolution technologique embrase le monde entier et occupe tous les secteurs d’activité, il est opportun d’intégrer les technologies de l’information et de la communication (Tic) à des fins d’enseignement et d’apprentissage. La Formation à distance basée sur les Tic apparaît comme une bonne alternative à l’obligation de regroupement des enseignants pour une formation présentielle. Elle favoriserait, la stabilité du personnel enseignant en poste et une plus-value au trésor public. Elle permettra de pallier les inégalités d’accès aux formations liées à l’éloignement des centres de formation et réduit les besoins en regroupement qui sont onéreux pour le système et éloignent les enseignants de leurs classes.
L’enjeu de la formation des instituteurs au Bénin
Au Bénin, la formation concerne des élèves instituteurs adjoints (formation au Ceap) ou des élèves instituteurs (formation au Cap) directement recrutés dans les Eni par l’État sur concours ou sur étude de dossiers, niveau Bepc pour les premiers et niveau Bac pour les seconds. Cette formation qui se déroule dans les Eni dure deux ans. Elle fait suite à un volet théorique où les sciences cognitives, la didactique, la pédagogie générale, la pédagogie appliquée, etc. préparent l’élève au volet pratique. Ainsi, chaque année et pendant trois mois de la dernière année, l’élève est mis en stage dans une école. Contrairement au stagiaire en formation continue, l’élève stagiaire est placé en tutorat sous la tutelle d’un titulaire avec qui il partage la gestion de la classe durant son stage. De plus en plus, des centres privés de formation des instituteurs se créent.
Ifadem une expérience concluante
Selon les explications de l’ancien Directeur du projet Ifadem, Jean Tchougbé, en 2006, lors du XIe Sommet de la Francophonie à Bucarest, pour favoriser l’atteinte des Objectifs du Millénaire et notamment l’Éducation pour tous, les chefs d’États et de gouvernements de la Francophonie ont suggéré à l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif) et à l’Agence universitaire de la Francophonie (Auf) de mettre en commun les moyens dont elles disposent pour soutenir les politiques nationales de modernisation des systèmes éducatifs des pays membres. C’est donc sur cette problématique que l’Initiative francophone pour la formation à distance des maitres (Ifadem) est née. A l’en croire, au Bénin, pour la conduite, le comité national (Cn), nommé par le ministère pour le pilotage de l’initiative, a mobilisé une douzaine de membres issus de la Dep, de la Cnpf, de l’Infre, de l’Eni d’Abomey, de la Confemen, du Cnf.
Un dispositif pratique pour l’atteinte des objectifs
Pour le Chef projet, le dispositif associe regroupements en présence et formation à distance, afin de permettre aux enseignants de ne pas quitter leur classe. Il introduit progressivement l’usage des technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (Tic). L’accompagnement pédagogique est assuré par les concepteurs de contenus et des enseignants du secondaire au moment des regroupements. Un tutorat de proximité est assuré par des inspecteurs, des directeurs d’école ou des conseillers pédagogiques. Il permet d’accompagner les maitres dans leur travail, de maintenir leur motivation, de les aider à surmonter leurs difficultés et de les réunir régulièrement par petits groupes. « Au cours de la formation on avait des tuteurs qui faisaient des visites inopinées dans les classes pour voir comment nous mettons en pratique les notions reçues. On se réunissait les mercredis soirs après les cours pour échanger sur les difficultés rencontrées et comment y remédier avec nos tuteurs » a fait savoir Glèlè Kakaï s. Rhave institutrice, directrice de L’école primaire publique de Houngomè/B dans la circonscription scolaire de Za-Kpota, bénéficiaire du projet.
L’espace Ifadem
Des espaces Ifadem sont implantés dans tous les chefs-lieux de département. Le plateau technique se compose : de 20 à 30 ordinateurs fonctionnant exclusivement avec des logiciels libres ; d’une unité audiovisuelle : poste de télévision, lecteur de DVD ; et du tout le matériel périphérique nécessaire : imprimante, photocopieuse, scanner, vidéoprojecteur. L’Espace Ifadem est également doté d’une part, d’un fonds de référence – dictionnaires, encyclopédies, grammaires – et, d’autre part, d’un fonds d’ouvrages et de revues spécialisées dans le domaine de la pédagogie. Dans le cas du Bénin, Bénin Télécom SA a accordé des faveurs pour une connexion internet aisée et à moindre coût. L’alimentation électrique des espaces Ifadem est complétée par une production locale d’énergie de substitution grâce à des panneaux solaires couplés avec des batteries.
Le Cnf cheville ouvrière de l’Ifadem.
Selon les propos de du directeur du Campus numérique francophone de Cotonou, Stefano K. Amekoud, le Cnf représente le bras technologique du projet Ifadem. Il a permis entre autres : la réception et le suivi des infrastructures (informatique et « espace Ifadem »), suivi du dispositif de formation, l’hébergement des formateurs, organisation des missions locales et internationale, Participation au pilotage diffusion de l’information, coordination (transmission des courriels au Ministère). Et pour le directeur, Le Cnf a su développer une palette de compétences qui lui donnent maintenant la pleine maîtrise du processusdans une perspective de pérennisation.
Quel bilan peut-on tirer de l’intégration des Tic dans l’initiative ?
A en croire le Chef Projet Ifadem JeanTchougbé, l’intégration des Tic a contribué au succès de l’initiative. En particulier, elle a permis une meilleure appropriation par tous les acteurs de la chaîne et l’on constate que les « Espaces numériques Ifadem » constituent un investissement pour le futur. Les Tic ont été utiles à bien des égards dans la conception de l’initiative, la formation des formateurs et la gestion du projet, a-t-il signifié. Les Tic ont permis le travail en réseau des rédacteurs, experts contenus web et animateurs (échanges de fichiers électroniques, connexion Internet, visioconférences pour la gouvernance et le suivi par les experts internationaux). Au niveau des rédacteurs, l’usage des Tic s’est avéré très utile pour la conception des contenus et l’interaction avec les experts internationaux. L’intégration des Tic a finalement été une bonne chose et a contribué au succès de l’initiative, a-t-il conclu.
Un bilan global appréciable
Selon Maoudi Comlanvi Johnson,Planificateur de l’éducation, sociologue, philosophe, ancien coordonnateur Ifadem, le projet Ifadem, même s’il a évolué en maîtrise d’ouvrage délégué ne facilitant pas une véritable récupération par le ministère, Ifadem était une initiative très intéressante qui aurait pu être récupérée dans sa vision, avec tous les éléments utilisés. A en croire les propos du chef projet, Jean Tchougbé, Ifadem a été une expérience concluante et a suscité un grand engouement. « Lors des évaluations, les ifadémiens enregistrent un fort taux de réussite », a t-laissé entendre. « Il y avait un besoin de formation et Ifadem répond à ce besoin-là » ajoutera Félix Ahannou, inspecteur de l’enseignement, membre de l’équipe des rédacteurs Ifadem. « Le projet Ifadem à mon niveau a révolutionné beaucoup de choses, il a plus ou moins comblé mes attentes. Ce fût un projet très intéressant car il a permis de corriger assez de lacunes », a déclaré Glèlè Kakaï s. Rhave institutrice, directrice de L’école primaire publique de Houngomè/B dans la circonscription scolaire de Za-Kpota, pour sa part. « Mais saurait été plus avantageux s’il y avait un suivi de façon continue sur au moins 2 ou 3 années scolaires consécutives », a-t-elle souhaité. Et pour Blaise Coovi Djihouessi, Directeur de l’institut national d’ingénierie de formation, et de renforcement de capacité des formateurs, coordonnateur de l’équipe des rédacteurs du projet Ifadem, c’est un projet qui prend en compte les aspirations du peuple béninois, surtout en matière d’éducation. « Oui le projet a répondu aux attentes pour la simple raison que nous étions arrivés à un niveau où il fallait ce projet là pour corriger un certain nombre de choses. Il a apporté une solution efficace à des difficultés auxquelles sont confrontés et les enseignants et les apprenants », clamera-t-il. Et à Félix Ahannou, Inspecteur de l’enseignement, membre de l’équipe des rédacteurs Ifadem de poursuive : « si on a pu étendre le projet à d’autre écoles normales d’instituteurs (espaces Ifadem), c’est que la phase expérimentale a été concluante, les enseignants sont bien intéressés et lorsque nous faisons les évaluations les résultats donnent l’expression d’une d’une satisfaction ».
Les acquis
Selon les explications du Directeur de l’ENI Porto-Novo, Simon OlabodéBamikolé, les Espaces numériques de du projet Ifadem ne servent plus à une formation continue, tant le projet a connu sa phase finale. Mais à en croire ses propos, l’espace Ifadem de l’Eni de Porto-Novo, pour des raisons de maintenance, sert à la formation en informatique des élèves instituteurs, concomitamment avec le centre informatique de l’établissement. Un tour à l’espace Ifadem installé dans l’enceinte de l’Infre à Porto-Novopermet de se rendre compte que le centre est inopérationnel. Cependant pour Blaise CooviDjihouessi, Directeur de l’institut national d’ingénierie de formation, et de renforcement de capacité des formateurs, coordonnateur de l’équipe des rédacteurs du projet Ifadem, tous les documents Ifadem font l’objet d’une formation dans tous les Eni, « après Ifadem, ifadem continue, mais à travers les lieux de formation », déduira-t-il.
Les perspectives pour une généralisation de l’initiative
A l’heure du numérique marquée par la forte présence des Smartphones et autres tablettes, le Directeur du Campus numérique francophone de Cotonou, Stefano K. Amekoud, recommande l’extension du projet avec l’usage d’outils individuels d’accès aux supports de formation. Ainsi à l’en croire, l’utilisation du téléphone portable apparaît comme une solution simple et pratique. Il permettra en outre d’introduire de nouvelles innovations technologiques et pédagogiques. Ce qui permet aux enseignants de correspondre entre eux et de joindre leurs tuteurs presque gratuitement. Ils peuvent également déposer sur cette plateforme des questions, soit vocalement, soit par Sms, et obtenir des réponses par le même moyen. Pour Glèlè Kakaï S. Rhave institutrice, directrice de l’école primaire publique de Houngomè/B dans la circonscription scolaire de Za-Kpota, au-delà des espaces informatiques, l’idéal serait que la formation soit une initiative continue et à distance car à l’en croire, « la plupart des enseignants aujourd’hui utilisent les moyens de communication pour faire des choses plus ou moins instructives, on peut profiter de ce fait pour créer des groupes tels des réseaux sociaux pour continuer cette formation ». Félix Ahannou, inspecteur de l’enseignement, membre de l’équipe des rédacteurs affirme pour sa part qu’avec les nouvelles technologies telles les réseaux sociaux, les enseignants sont accrochés à leur Smartphone et au lieu de grignoter sur les heures des apprenants pour surfer sur WhatsApp et autres, on peut mettre ces atouts à profit pour leur formation continue. « Il serait heureux qu’on puisse rééditer ce projet-là pour continuer à former nos enseignants, jeunes surtout que nous avons sur le terrain », a souhaité le Directeur de l’Eni Porto-Novo. Et pour Djihoussi, il va donc falloir réorganiser les choses et disposer d’un espace Ifadem pour répondre aux préoccupations des enseignants. Les enseignants peuvent donc adresser des questions aux formateurs dans les Eni qui à partir de leur clavier, pourront leur apporter les réponses, proposera-t-il. Selon les propos de Comlan Fantognon, Docteur didactique des langues et cultures, Université Paris 3 La Sorbonne Nouvelle, Ingénieur en technologies éducatives, il est très important de former les enseignants à une meilleure appropriation des Tic. Il s’agit de les accompagner à acquérir une véritable culture numérique. A l’en croire, l’illusion ontologie conduit souvent à penser que faire par exemple des recherches d’information sur internet peut aller de soi, or la responsabilité qui incombe aux enseignants suppose qu’ils soient bien formés afin de mieux accompagner leurs élèves.
Réalisé par Thomas AZANMASSO