« La Cour est incompétente pour statuer sur la violation de l’article 3 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin ». C’est la suite donnée au recours formulé devant la Haute juridiction par Serge Prince Agbodjan pour non déclaration de patrimoine à l’entrée en fonction conformément à la loi par les Conseillers du Conseil économique et social (Ces). Lire les arguments de la Cour dans sa décision Dcc 17-096 du 11 mai 2017.
Décision Dcc 17-096 du 11 mai 2017
La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 03 mai 2016 enregistrée à son secrétariat à la même date sous le numéro 0844/051/Rec, par laquelle Monsieur Serge Roberto Prince Agbodjan forme un recours pour « méconnaissance des dispositions des articles 3 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin et 35 de la Constitution … » ;
Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;
Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Monsieur Akibou Ibrahim G. en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
Contenu du recours
Considérant que le requérant expose : «… En se fondant sur le rapport de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (Anlc) sur la déclaration de patrimoine des membres du Gouvernement, des Institutions, des cadres des ministères et organismes d’Etat de 2011 à 2016 (point actualisé au 31 janvier 2016) dont copie… disponible sur le site de l’Anlc (http://www.anlc.bj/rapport/), il est indiqué qu’aucun membre du Conseil économique et social n’a déclaré son patrimoine à l’entrée en fonction.
De cet extrait du rapport, il est donc clair que même le président de cette Institution … n’a pas cru devoir se conformer à cette exigence législative dans les quinze jours suivant leur entrée en fonction comme le demande l’article 7 du décret n° 2012-338 du 02 octobre 2012 portant modalités d’application des articles 3 et 10 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin.
Selon l’article 35 de la Constitution… « Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun ».
L’accomplissement de la mission républicaine des membres du Ces passe par le respect des lois…, les membres du Conseil économique et social (Ces) qui se sont refusés de respecter cette disposition législative dans le délai des 15 jours suivant l’entrée en fonction viennent de violer la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin et l’article 35 de la Constitution. Pour nous, il s’agit d’un mépris grave à nos lois qui mérite la censure de votre haute juridiction. » ; qu’il conclut : « Au vu de ce qui précède, nous vous prions de déclarer contraire aux articles 3 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin et 35 de la Constitution …, la non déclaration du patrimoine par les membres du Conseil économique et social (Ces) y compris leur président. » ;
Instruction du recours
Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction de la Cour, le président du Conseil économique et social, Monsieur Tabé Gbian, écrit : « … Avant tout développement, il y a d’abord lieu de faire un bref rappel des faits.
I- Bref rappel analytique des faits et de la procédure
Le sieur Serge Roberto Prince Agbodjan obtient un rapport de l’organe de lutte contre la corruption sur la déclaration de patrimoine, sur lequel il dit se fonder pour porter plainte devant la Cour constitutionnelle contre « tous les membres du Conseil économique et social » sans aucune précision ou identification personnelle des conseillers en cause, … L’objet du recours et la demande du requérant ont embarrassé les membres du Conseil économique et social, et finalement, c’est la plénière du 2 septembre dernier qui, sous l’éclairage du président de l’Institution, a décidé que c’est à lui de produire un mémoire à l’adresse de l’auguste Cour de céans.
C’est en cet état que la Cour est invitée à se prononcer sur :
1- in limine litis, la recevabilité de l’action ;
2- au principal, la compétence ;
3- au subsidiaire, le mal fondé de l’action ;
II- De l’irrecevabilité du recours
Il résulte de la requête introductive de la présente instance que les requis sont désignés : »membres du Conseil économique et social », sans qu’aucun conseiller soit identifié par ses nom, prénoms et coordonnées.
Or, dans un acte introductif d’une instance devant toute juridiction, l’indication claire et sans aucune confusion possible du ou des requis constitue une mention substantielle dont l’absence prive ledit acte de validité. En l’espèce, l’expression « les membres du Conseil économique et social » n’est indicative d’aucune personne juridique susceptible d’être justiciable d’une juridiction.
De plus, savoir que les personnes contre lesquelles on exerce un recours sont des personnes physiques, susceptibles d’être trouvées à une adresse géographique donnée, en l’espèce, le siège du Conseil économique et social, une Institution de l’Etat où on peut obtenir leur nom, prénoms et même leur adresse individuelle, puis les désigner dans un recours comme : « membres du… » est une manière de nourrir du mépris vis-à-vis de leur dignité et de leur personnalité juridique…
Eu égard à ce qui précède, il est demandé à la Cour constitutionnelle, … du reste, garant du respect des droits humains, de déclarer la requête du sieur Serge Roberto Prince Agbodjan irrecevable parce qu’elle ne défère à la haute juridiction aucune entité juridique ou personnalité juridique apte à répondre devant elle » ; qu’il poursuit :
« III – De l’incompétence de la cour
Il est établi que le requérant demande à la Cour de céans de déclarer contraire aux articles 3 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin et 35 de la Constitution… la non déclaration de patrimoine des membres du Conseil économique et social du Bénin avant leur entrée en fonction.
A travers cette demande, le requérant attend que la Cour de céans apprécie la régularité ou la légalité du comportement « la non déclaration de patrimoine » des conseillers du Ces Bénin.
Or, la Cour constitutionnelle est juge de la constitutionnalité et non de la légalité.
Il échet, en conséquence, que la Cour se déclare incompétente…
III – La violation du droit à la présomption d’innocence des requis
Le sieur Serge Roberto Prince Agbodjan demande à la Cour de céans de déclarer contraire à l’article 35 de la Constitution la non déclaration de patrimoine des conseillers au Conseil économique et social avant leur entrée en fonction.
Or, selon l’article 35 de la Constitution : « Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun ».
Il est opportun de rappeler que la déclaration de patrimoine, quoiqu’étant une obligation pour ceux qui y sont assujettis, comme les membres du Conseil économique et social, ne constitue pas une obligation relevant de leur attribution fonctionnelle. Il s’avère, dès lors, inconcevable de dire que celui qui a manqué, à un moment donné, de déclarer son patrimoine est coupable de corruption ou du délit d’enrichissement illicite dans l’accomplissement de sa mission au point de conclure qu’il a violé l’article 35 de la Constitution ; or c’est à cet exercice que, de façon implicite, le requérant invite la haute juridiction, ce qu’elle, ne peut faire sans violer le droit à la présomption d’innocence des requis qui est un droit constitutionnel et de surcroît un droit de la personne humaine…
Il y a lieu, en conséquence, de déclarer la demande en elle-même contraire à la Constitution…» ;
Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction de la Cour, la présidente de la Chambre des comptes de la Cour suprême par intérim, Madame Ismath Bio Tchané Mamadou, transmet à la haute juridiction le point des déclarations de patrimoine des membres du Conseil économique et social ayant satisfait à l’obligation légale de déclaration de leur patrimoine au greffe de la Chambre des comptes ; qu’il ressort de ce point que seulement quatre (04) conseillers ont effectivement fait la déclaration dans les formes prescrites par la loi, à savoir, les nommés :
NB : P.e.s. : Pas encore sorti.
Analyse du recours
Considérant que Monsieur Serge Roberto Prince Agbodjan demande à la haute juridiction d’apprécier la mise en œuvre de l’article 3 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin par les membres du Conseil économique et social (Ces) y compris leur président ; que l’appréciation d’une telle demande relève d’un contrôle de légalité ; que la Cour, juge de la constitutionnalité et non de la légalité, ne saurait en connaître ; qu’en conséquence, il échet pour elle de se déclarer incompétente ;
Considérant que toutefois, aux termes de l’article 114 de la Constitution : « La Cour constitutionnelle est … l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics » ; que par ailleurs, selon l’article 34 de la Constitution : « Tout citoyen béninois, civil ou militaire, a le devoir sacré de respecter en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi ainsi que les lois et règlements de la République. » ;
Considérant que les membres du Conseil économique et social (Ces), citoyens béninois et de surcroît attributaires de prérogatives constitutionnelles, ne peuvent se soustraire aux lois régulièrement votées par le Parlement, lois devenues exécutoires soit par promulgation par le Président de la République, soit sur décision de la Cour constitutionnelle après saisine par le Président de l’Assemblée nationale conformément à l’article 57 alinéa 6 de la Constitution ; que la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin a été votée par l’Assemblée nationale le 30 août 2011, promulguée par le Président de la République le 12 octobre 2011 et publiée au Journal officiel sous le numéro spécial 05 bis du 06 mars 2012 ; que cette loi fait partie de l’ordonnancement juridique du Bénin ; qu’en ne procédant pas à la déclaration de leur patrimoine tel que prescrit par la loi susvisée et son décret d’application, les membres du Conseil économique et social ont méconnu l’article 34 précité de la Constitution ; que dès lors, il échet pour la Cour de dire et juger que le président et les membres du Conseil économique et social, à l’exception de ceux qui l’ont déjà fait, sont tenus de procéder sans délai à ladite déclaration ;
Décide:
Article 1er : La Cour est incompétente pour statuer sur la violation de l’article 3 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin.
Article 2 : Le président et les membres du Conseil économique et social qui n’ont pas encore fait la déclaration de leur patrimoine sont tenus d’y procéder sans délai.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Monsieur Serge Roberto Prince Agbodjan, à Monsieur le Président du Conseil économique et social, à Madame la Présidente de la Chambre des comptes par intérim et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le onze mai deux mille dix-sept,
Messieurs Théodore Holo Président
Simplice Comlan Dato Membre
Bernard Dossou Dégboé Membre
Madame Marcelline-C. Gbèha Afouda Membre
Monsieur Akibou Ibrahim G. Membre
Madame Lamatou Nassirou Membre
Le Rapporteur,
Akibou Ibrahim G
Le Président,
Professeur Théodore Holo