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Ganiatou Wassi, superviseure de l’ONG ADEF sur les grossesses en milieu scolaire à Tchaourou: « Les parents ont démissionné »
Publié le lundi 12 juin 2017  |  L`événement Précis




Ganiatou Wassi est superviseure de l’ONG Action pour le développement et l’épanouissement de la famille (Adef), opérant dans la commune de Tchaourou. Engagée pour l’autonomisation des femmes et des filles, l’ONG Adef intervient aussi sur les questions liées à la santé reproductive des adolescents et des jeunes, le dialogue parents-enfants, etc. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, Ganiatou Wassi est revenue sur ces actions, notamment sur le phénomène des grossesses en milieu scolaire en plein essor dans la commune. L’invitée a aussi abordé la question des jeunes non scolaires, souvent oubliés des projets et programmes liés à la jeunesse. La situation de la femme et la planification familiale dans la commune de Tchaourou ont aussi été passées en revue par Ganiatou Wassi qui souhaite voir l’ONG Adef collaborer avec d’autres structures afin de relever les défis de la commune dans ces domaines.

L’Evénement Précis : Quels sont les champs d’action de l’ONG Adef dont vous assurez la supervision ?

Ganiatou Wassi : L’ONG Adef est créée depuis 2007. Ses activités sont dirigées à l’endroit des filles et des femmes surtout, à travers la sensibilisation sur les questions d’ordre général, la santé sexuelle et reproductive des adolescents et jeunes. En dehors de ça, l’ONG œuvre pour une autonomisation des femmes et des filles. Au départ, on travaillait avec des groupements de femmes à travers le suivi de l’épargne autogérée dans les groupements. Adef aide aussi les groupements de femmes à travers les matériels qu’elle met à leur disposition pour leurs activités génératrices de revenus ou pour les activités du groupe. Depuis octobre 2016, nous sommes sur un projet de « Amour et vie » qui travaille avec les parents, les adolescents et jeunes non scolaires, les apprentis, parce que la santé sexuelle ne se limite pas qu’aux jeunes scolaires. Il y a aussi la couche des apprentis, cette couche-là qui est délaissée par les structures et que l’Association béninoise pour le marketing social (Abms) a voulu toucher à travers les ONG qui mettent le projet en œuvre sur le terrain. Ça se manifeste à travers une sensibilisation pour un changement de comportement. On travaille aussi avec les femmes en âge de procréer sur les avantages de la planification familiale, et aussi dans les familles à travers une activité dénommée « dialogue en famille» en matière de sexualité.

A quels problèmes est confrontée la couche des non scolaires ?
Les non scolaires, aussi bien les filles que les garçons, sont des jeunes qui n’ont pas pu tenir à l’école et se sont reconvertis dans l’apprentissage d’un métier. Les jeunes filles non scolaires sont aussi confrontées aux problèmes de grossesse précoce. Elles abandonnent alors l’apprentissage pour se retrouver dans un foyer, alors qu’elles n’ont pas encore l’emploi qui va leur permettre de subvenir aux besoins d’un enfant. Il y a aussi, au niveau de cette couche, les maladies qui sont développées, parce que c’est une couche qui ne va pas à l’école, qui se laisse aller au sexe pour pouvoir paraître. Elle développe des problèmes d’infections, voilà pourquoi il faut aller vers ces jeunes, les aider à aller de l’avant dans l’apprentissage. On les sensibilise sur les maladies, les risques qu’ils et elles courent en allant au sexe sans contrôle, on les amène à prévenir les grossesses précoces.

Le phénomène des grossesses en milieu scolaire est criard dans la commune de Tchaourou. Qu’est-ce que ça vous fait de voir la commune citée tout le temps sur ce phénomène ?
Ce phénomène nous touche. Chaque fois, on reçoit des messages disant que notre commune bat le record des grossesses en milieu scolaire, alors que nous travaillons, nous luttons. Ça écœure parce que c’est comme si ce que nous faisons au jour le jour n’a pas d’effet sur la communauté. Si des structures veulent entrer dans la même bataille que nous, qu’elles se joignent à nous pour nous aider à le combattre.

Qu’est-ce qui explique le phénomène, selon vous?
Nous intervenons dans le domaine scolaire à travers les sensibilisations sur les différents problèmes auxquels les jeunes sont confrontés. Pour le problème des grossesses précoces, je pense qu’il y a une démission des parents. C’est ce qui est criard aujourd’hui. Parce que, quoi qu’on dise, les élèves filles encore à l’école à l’âge de 13/14 ans, sont encore, je peux dire, ignorantes et même si elles font quelque chose, elles ne se rendent pas compte de sa gravité. D’aucuns disent aussi qu’il y a la pauvreté qui fait que les enfants se laissent aller au sexe. Moi, je le dis toujours, la faute n’est pas que du côté des filles. Il y a aussi une éducation sexuelle qui fait défaut dans les familles, aussi bien du côté du garçon que de la fille, ce qui fait que les jeunes vont très tôt au sexe aujourd’hui. Parce que tout est tabou, on ne peut pas parler de sexe devant les enfants. Nous sensibilisons les enfants mais c’est difficilement qu’ils se prononcent sur les questions liées à la sexualité, parce que l’éducation sexuelle fait défaut. Les parents ont démissionné.

Comment se traduit cette démission des parents ?
Il y a des parents par exemple qui n’assument pas le petit-déjeuner de leur enfant, d’autres qui ne savent même pas la classe que fait leur enfant. Il y a aussi des parents qui ne cherchent même pas à savoir si leur enfant a réussi ou pas. J’ai eu ce cas, cette année avec une fille qui a annoncé à son père qu’elle avait réussi à l’examen blanc et lui a demandé d’organiser une fête. C‘était un pur mensonge que le père a découvert en allant se renseigner dans le collège. Cette fille n’avait même pas la moyenne pour être admissible. Si tous les parents pouvaient se comporter comme ce père, on saurait qu’il y a un suivi qui est fait par les parents. Même les frais de photocopie, les enfants ne les ont pas de leurs parents. Pour moi, ce sont-là quelques-unes des causes. En dehors de ça, il y a aussi le manque de loisirs dans les localités. Dans l’arrondissement de Goro par exemple, il n’y a aucun loisir pour les jeunes. Il faut aussi dire que les parents illettrés ne taillent pas d’importance à la scolarisation de la fille. Ce qui fait que même quand la fille tombe enceinte, ils ne s’en soucient pas, ça ne leur dit pratiquement rien.

Quel est donc le sort de ces filles qui se retrouvent à assumer une grossesse sur les bancs ?
Certaines sont abandonnées à elles-mêmes et doivent se prendre en charge. Les parents un peu lettrés sortent la fille carrément de la maison. Il y a d’autres filles qui restent à la maison mais dont les parents ne se soucient même pas. Nous, nous avons eu à rencontrer des filles-mères qui ont du mal à échanger avec leurs parents à la maison parce qu’elles sont victimes d’une grossesse précoce. Il y a d’autres qui sont données directement en mariage. Il y a des filles qui, bien que chez leurs parents, mangent difficilement.

Que sait-on des auteurs de ces grossesses ?
On constate aujourd’hui que c’est surtout les élèves. Les mécaniciens sont en train de sortir du lot des auteurs, les enseignants eux en sont sortis presque complètement. Aujourd’hui, ce sont les artisans et les élèves qui sont auteurs des grossesses, et les élèves battent le record. C’est pourquoi je dis qu’il y a une éducation sexuelle qui est ratée tant du côté du garçon que de la fille. On ne fait qu’incriminer la fille alors que c’est le jeune garçon qui va vers la fille et fait l’acte avec elle.

Ne devrait-on pas introduire des cours d’éducation sexuelle dans les programmes scolaires ?
Ça serait une bonne chose qu’on introduise l’éducation sexuelle dans l’enseignement. Je pense que ce serait une belle initiative parce que l’enfant saura que la sexualité n’est pas un sujet tabou, et qu’il peut désormais en parler, sans se soucier du qu’en dira-t-on. Si ce n’est pas à l’école et que c’est chaque fois des gens de l’extérieur qui doivent venir leur en parler, ils auront toujours des réserves à dire certaines choses.

Devrait-on se mettre aussi à sensibiliser les parents sur leurs devoirs vis-à-vis des enfants qu’ils ont mis au monde ?
C’est vraiment compliqué, surtout quand on est dans le nord du Bénin. Les traditions font que les parents pensent que l’enfant peut se prendre en charge quand il atteint un certain âge, alors que le dernier est encore sur les bancs. Les parents sont ignorants quelque part et je mets ça sur le compte de la tradition. On doit sensibiliser les parents pour leur montrer que ces coutumes sont dépassées et que l’éducation est importante, parce qu’il y a des parents qui se disent que faire beaucoup d’enfants est important. C’est rare d’entendre des parents dire être préoccupés par l’éducation de leurs enfants. On doit leur parler, leur dire ce qu’il faut faire pour qu’au moins, ils puissent comprendre les réalités d’aujourd’hui.

Comment pourrait-on résoudre ce problème, selon vous ?
En continuant toujours les sensibilisations, et en faisant appliquer les lois au niveau de l’Etat et même de la société, c’est-à-dire la société dans son ensemble, parce qu’elle empêche l’Etat de le faire parfois. Il faut amener les parents à faire respecter les lois. Au niveau des élèves, c’est toujours la sensibilisation qu’il faut continuer.

Il y a-t-il des plaintes contre les auteurs, et comment aboutissent ces plaintes ?
Il y a des plaintes qui n’aboutissent pas, parce que les parents préfèrent traiter les problèmes à l’amiable, en famille. Cela fait qu’arrivé à un certain niveau, le processus est bloqué et n’aboutit jamais.

Nous allons parler d’un autre volet de vos actions, les femmes. Quelle est la situation des femmes dans la commune de Tchaourou, depuis une décennie que vous travaillez sur le terrain?
La situation de la femme évolue difficilement, parce que la femme ménagère illettrée s’extériorise difficilement, déjà au niveau même du groupement. Quand il y a une activité dans un groupement par exemple, tout le monde n’est pas intéressé de la même manière. Il y a même des cas où lorsque la meneuse a des problèmes, tout le groupe a tendance à couler, et l’activité reste en stand-by. Également, les femmes ne font pas la part des choses dans leurs petites activités génératrices de revenus. Elles mélangent tout. Il y a des femmes qui brassent 1 ou 2 millions par jour mais n’ont aucune épargne et sont tout le temps en train de faire des prêts. Elles ne comprennent pas encore ce que c’est que l’autonomisation et nous, on les amène à épargner pendant une période de 6 mois par exemple. Il y a aussi un problème qui fait que les femmes ne se retrouvent pas, c’est le problème des institutions de microfinance qu’on voit partout. Quand une femme prête quelque part, elle s’en va prêter ailleurs pour rembourser le premier prêt. Avant l’échéance de ce deuxième prêt, elle trouve une autre institution de micro finance où elle va prêter de l’argent pour rembourser la deuxième dette, et ainsi de suite.

Vous intervenez aussi dans le domaine de la planification. Est-ce que cela prend dans la commune ?
Oui. On a fait une expérience entre octobre 2016 et mai 2017. Avec ce que nous avons constaté, on ne peut pas dire que ça ne prend pas. Les gens ont commencé par comprendre. C’est vrai, c’est lent, il y a toujours les rumeurs et à des moments, on est dépassé, on se demande si ça va aller. Mais à force d’explications, les gens finissent par avoir confiance.

A quelles difficultés faites-vous face sur le terrain ?
Il y a des problèmes. Déjà avec les femmes dans les groupements. Vous vous efforcez à travailler, mais quand la meneuse a un problème, le groupement coule. C’est une difficulté, parce que ça ne nous encourage pas. On fait des efforts pour redynamiser les groupements mais ça nous demande beaucoup d’efforts et de courage. En dehors de ça, pour ce qui concerne la planification familiale, il y a que les rumeurs empêchent la communauté d’en voir l’importance. Ces rumeurs sont tellement développées qu’elles ont parfois tendance à être au-dessus des avantages même de la planification familiale. Il faut d’abord dissiper ces rumeurs. A travers notre projet, nous suivons individuellement des femmes. Il y en a qu’on suit pendant trois mois, mais qui n’acceptent jamais d’adopter une méthode. Au niveau des adolescents et jeunes, les patrons d’atelier n’acceptent pas les laisser pour qu’on puisse échanger avec eux. C’est vraiment une difficulté pour nous d’accéder aux ateliers. Eux aussi ne voient pas encore l’importance de ce que nous faisons.

A qui aimeriez-vous lancer un appel, et de quel type ?
Je lance un appel à tout le monde. Nous souhaitons entrer en contact avec les ONG internationales, celles de Parakou, Cotonou etc, pour travailler avec elles sur les thématiques évoquées plus haut. Si les activités que nous menons les intéressent, je pense que nous pourrions travailler ensemble afin que ce que nous attendons de notre commune puisse être une réalité.

Entretien réalisé par Flore S. NOBIME
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