Les statistiques affolent s’agissant des grossesses en milieu scolaire au Bénin. Le département de l’Atacora n’en est pas en marge et l’initiative « Semaine de la fille de l’Atacora » portée par le préfet Déré Lydie Chabi Nah fait écho. A travers cet entretien, elle évoque ses motivations et son espoir de voir les tendances s’inverser d’ici 2020.
Mme le préfet, vous vous investissez depuis quelques jours dans une campagne de sensibilisation des élèves sur les grossesses en milieu scolaire dénommée « Semaine de la fille de l’Atacora ». Quelles en sont les motivations ?
C’est l’ampleur que continue de prendre le phénomène qui m’a motivée. En prenant connaissance des statistiques de la direction départementale de l’Enseignement secondaire et celle de la Famille et des Affaires sociales sur le fléau, j’ai eu froid au cœur. De 2013 à 2016, le département s’est retrouvé avec 1485 cas de grossesses dont 505 dans la période 2013-2014, 488 l’année scolaire qui a suivi et 492 pour la période 2015-2016. En allant un peu plus loin il convient de relever qu’au cours de l’année scolaire 2015-2016, la commune de Kouandé a enregistré 77 cas, Tanguiéta 74 cas, Boukoumbé 62 cas, Natitingou 62 cas. Dans la même période, nous déplorons 55 cas à Péhunco, 51 à Cobly, 51 également à Matéri, 46 cas à Kérou et 14 à Toucountouna. Avec ces chiffres, nous ne pouvons que prendre notre bâton de pèlerin. La femme est déjà assez marginalisée dans le département pour qu’on reste passif face à un fléau qui hypothèque l’avenir du peu de filles qui ont eu la chance d’être envoyées à l’école. Le phénomène non seulement réduit de façon drastique le nombre de filles dans les collèges et lycées avant la classe de terminale, mais surtout donne d’argument à certains parents à ne plus envoyer leurs filles à l’école, parce que, pour eux, la finalité c’est leur ramener une grossesse. Je suis une femme et une féministe convaincue. Je n’ai donc plus besoin d’une autre motivation pour défendre l’avenir de la femme.
Y-a-t-il matière à voir une autorité politico-administrative de votre rang s’engager dans une telle campagne avec le lot d’organisations de la société civile déjà impliquées à divers niveaux ?
Les Organisations de la Société civile, notamment les ONG ont fait et continuent de faire ce qu’elles peuvent. Je veux à travers ce canal saluer une fois encore leur engagement et surtout les exhorter à véritablement poursuivre le combat. Le jour où j’ai eu ces statistiques, je me suis demandé ce que ç’aurait été si les Ong n'avaient pas agi. C’est dire donc que c’est une bataille dans laquelle personne ne sera de trop. D’ailleurs, je ne mène pas cette action de façon isolée, je suis accompagnée par Plan International Bénin qui fait partie des organisations phares œuvrant dans le domaine. J’ai voulu apporter ma touche au noble travail que font les Ong pour que dans une synergie d’actions nous puissions atteindre l’idéal de zéro grossesse dans ces collèges et lycées d’ici 2020. Je pense aussi que le fait d’être femme peut créer le déclic. Elles pourraient tabler sur ma réussite pour se décider à aller loin en évitant de tomber dans ce piège infernal.
En tant que préfet, quelle est la teneur des messages que vous portez à l’endroit de ces jeunes filles des lycées et collèges de votre département ?
D’abord, j’essaie de toucher leur sensibilité en leur exposant les chiffres sur les cas de grossesses dans le département, dans leur commune et surtout dans leurs établissements. Ensuite, je leur montre l’intérêt qu’elles ont à observer l’abstinence sexuelle. Ça leur permet de garder leur dignité, de faire la fierté des parents, de bien travailler à l’école et d’être sûres d’avoir un avenir radieux. Je leur fais comprendre combien c’est illusoire tout ce qui leur est proposé par les hommes pour abuser d’elles. Je mets un point d’honneur sur l’obligation qu’elles ont de travailler pour que les femmes ne soient plus laissées pour compte. Plus loin, je leur fais remarquer que rien n’est impossible à celle qui veut réussir.
Au-delà des filles, je mets en garde les auteurs de ces actes, dont font partie les enseignants et les élèves garçons, en leur expliquant les dispositions prises par le législateur pour sanctionner ceux qui se rendraient coupables.
Dans les localités où la pauvreté tend à encourager le phénomène, n’avez-vous pas l’impression de prêcher dans le désert ?
La pauvreté oui, mais la dignité absolument. Sans vous mentir, dans la plupart des établissements sillonnés surtout dans la zone Pendjari, c’est l’argument qu’invoquent souvent les filles. « Nos parents n’arrivent pas à subvenir à nos besoins », avancent-elles. Et à moi de leur demander : « C’est quand vous revenez avec des grossesses qu’ils arrivent à satisfaire ces besoins ? ». Absolument pas ! En réalité, les besoins dont parlent les filles, c’est de chercher à s’habiller, à manger, bref se comporter comme celles dont les parents sont à l’abri du besoin. Se contenter du peu que les parents font l’effort de nous apporter, pour être soi-même demain c’est la vraie réussite. Moi qui vous parle, je ne suis pas issue d’une famille riche.
Loin de moi donc la prétention d’impacter à 100%, mais je suis convaincue que mon message passe à 98%. Les différentes préoccupations que les filles soulèvent souvent après mes messages, me réconfortent et m’apportent l’assurance que je ne prêche pas dans le désert.
J’ai la ferme conviction d’atteindre zéro cas de grossesses d’ici 2020, et dans cet engagement personne ne sera de trop, même les médias qui nous accompagnent dans toutes nos initiatives?
Kokouvi EKLOU A/R Atacora-Donga